Demi-victoire des uns, demi-défaite des autres, je veux bien. Mais qui peut pavoiser quand presque un Français sur deux a décidé de rester chez lui en jugeant qu’une présidentielle suffisait à un printemps démocratique et qu’élire un député ne servait désormais plus à rien ? L’événement majeur de la journée c’est cette abstention record, cette indifférence de masse, cette insouciance et cette démission civiques, ce silence de la majorité.

La vague bleue. Cette vague qui, disait-on, devait déferler sur la France et emporter ses digues roses. Je sais que cela n’a pas grand sens de comparer un résultat et une projection. Et l’on voit bien la perversité qu’il pouvait y avoir – perversité des sondages et des sondés – à jouer à se faire peur, créer de toutes pièces l’hydre qu’il fallait terrasser, bref, faire monter la vague dans le vide pour, le moment venu, se féliciter de la voir retombée. N’empêche. Nicolas Sarkozy est président. Il a une franche majorité. Mais il n’a plus d’état de grâce. C’est un fait.

Rééquilibrage ? Sagesse d’un électorat qui, votants et non-votants confondus, aurait entendu les avertissements des uns, pris la mesure de l’arrogance des autres et savamment dosé son vote pour arriver à ce résultat infiniment plus conforme, en effet, à l’esprit républicain et à ses exigences de contre-pouvoir ? Ou bien volatilité d’une opinion ballottée au gré de ses humeurs, de ses caprices, peut-être de ses inconséquences et, en l’occurrence, de cette fameuse « TVA sociale » dont personne ne voyait très bien ce qu’elle était mais à laquelle on aurait décidé de dire non pour ne pas avoir à toujours dire oui ? Allez savoir.

Refondation. C’est désormais, pour la gauche, le seul sujet. Et c’est, si elle veut un jour l’emporter, le rendez-vous qu’elle ne peut en aucun cas manquer. Question, tout de même. Oui, une toute petite question que l’on a scrupule à déjà poser de peur de gâcher l’ambiance – et pourtant… Ce bon score des socialistes, cette divine surprise dont ils ne reviennent pas eux-mêmes et qui, pour un peu, les ferait rire de se voir si forts, soudain, dans le miroir de leur défaite annoncée, leur donneront-ils l’envie, la force, le courage de repenser leur stratégie et, d’abord, leur identité ? Ou y trouveront-ils, au contraire, prétexte à ne rien changer, figer à nouveau les lignes et replonger dans cette ère glaciaire dont la longue, trop longue, durée est une autre exception française ? Là non plus, je ne sais pas.

Manuel Valls. Aurélie Filippetti. Delphine Batho. D’autres. Ces nouveaux visages pour une gauche qui changerait de cap, et rajeunie. L’immense exigence de renouvellement – c’est eux qui parlent – qu’appelle la circonstance et qu’ils incarnent dès ce soir, avec vigueur, avec talent, sur des plateaux de télévision où la parole est, si souvent, mécanisée et formatée. Quel avenir pour ces visages ? Quel rôle pour ce style dont ils signent l’irruption ? Y aura-t-il une place pour eux, et laquelle, entre les « vieux éléphants » et les « jeunes lions » ?

Alain Juppé. Pas ma famille. Et, au temps où il présidait aux Affaires étrangères de la France, de vrais et profonds désaccords. Mais enfin… Droiture. Allure. Compétence indiscutée. La drôle d’histoire de cet homme qui a pris sur lui les péchés d’un autre, a payé, s’est exilé, a changé de vie et de métier, a fini par revenir et se voit, aujourd’hui, si brutalement désavoué. Ce n’est pas une défaite, c’est une curée. Et, là non plus, je n’aime pas les curées. Rendez-vous à Venise. On y causera Democrazy, l’œuvre de Francesco Vezzoli au pavillon italien de la biennale ; et on évitera le sujet de la Bosnie.

Un grand absent, ce soir, Michel Rocard. Parti. Volatilisé. Caché, peut-être, par les siens comme ce rien que l’on ne saurait plus voir. Et pourtant… C’est lui qui, avec Ségolène Royal mais avant elle, a formulé le théorème que cette élection a validé et qu’il ne faudra plus se lasser de rappeler. C’est lui qui, le premier, a mis les pieds dans le plat de cette rénovation qui ne s’avoue pas mais qui se fait déjà, sans mots, dans le fond des urnes. Il n’y a plus pour la gauche qu’une stratégie possible, voilà le secret que l’on reprochera longtemps à l’ancien Premier ministre d’avoir osé éventer avant l’heure. Il n’y a plus, oui, qu’une seule et unique stratégie pour une gauche qui tirerait toutes les leçons, vraiment toutes, de sa saison totalitaire. Et cette stratégie, c’est, comme viennent de le confirmer les millions d’électeurs de François Bayrou qui ont choisi de mêler leurs voix à celles des électeurs socialistes, l’alliance avec un centre moderne, modérateur, réformateur.

Royal et Hollande. Vie publique et vie privée. Vingt-cinq ans dans la vie d’une femme. Vingt-quatre heures dans la vie du couple le plus épié de France et qui comptait attendre demain pour révéler son propre secret. Quoi, s’indignent les tartufes ? Les passions au poste de commande ? Les désordres amoureux dans l’ordre, que l’on croyait savamment réglé, de la bataille politique ? Et l’irruption, non plus du tragique, mais du vaudeville dans le débat public ? Mais oui. C’est ainsi. Et c’est très bien ainsi, après tout.


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