[Ce Bloc-Notes, paru dans Le Point le 16 avril, a été écrit avant la riposte israélienne du 19 avril. NDLR]
Ainsi donc la guerre est déclarée.
Pas seulement la guerre du Hamas, lancée le 7 octobre 2023.
Pas seulement la guerre du Hezbollah, le lendemain, le 8, avec ses frappes quotidiennes partant du Liban.
Pas seulement la guerre des houthis du Yémen qui, guidés par un navire espion des Gardiens de la révolution, se sont lancés dans la mêlée en tirant leurs missiles sur Eilat et en bloquant, quand bon leur chante, le détroit de Bab el-Mandeb.
Pas celle des milices pro-iraniennes qui opèrent depuis l’Irak et tuent, depuis la prise de Kirkouk, en 2016, mes amis kurdes.
Et pas celle des éléments pro-iraniens qui colonisent la Syrie de Bachar el-Assad et harcèlent tantôt le Golan, tantôt les localités du nord d’Israël.
Non.
La guerre, la vraie, la mère de toutes ces batailles, celle qui excellait à coordonner, d’un théâtre l’autre, tous ces proxys et où c’est l’Iran lui-même qui, maintenant, monte en ligne et se découvre.
Pourquoi les mollahs ont-ils commis cette imprudence ?
Pourquoi être sortis de l’ambiguïté qui laissait croire, jusqu’à présent, à une série de guerres asymétriques opposant une armée de Robocops israéliens surarmés à des organisations apparemment lilliputiennes ?
Pourquoi avoir choisi de montrer au monde qu’Israël n’est pas l’État « génocidaire » et « massacreur d’ enfants » que l’on nous présentait jusqu’ici, mais une petite nation attaquée par une puissance impériale qui a juré de l’annihiler et qui, après l’avoir fait encercler, du nord au sud et à l’est, par ses escadrons de mercenaires, décide de passer à l’action et de porter le coup fatal en la submergeant, selon un scénario tactique presque aussi inédit que celui du 7 Octobre, sous une nuée de drones et de missiles ?
Et pourquoi, d’un autre côté, ce déluge de feu à la fois terrible et dérisoire, puisque 99% des tirs ont été, soit stoppés par les Patriot israéliens et américains, soit si mal ajustés qu’ils sont tombés en territoire iranien ? pourquoi cette erreur de calcul qui n’a fait que souligner la solidité, et des défenses d’Israël, et de ses alliances ? et quel intérêt avait Téhéran à offrir aux pays arabes ce visage qui ne pouvait que ressouder, par contrecoup, les accords abrahamiques scellés il y a quatre ans et qui paraissaient, ces temps derniers, battre de l’aile ?
L’avenir le dira.
Mais, en vérité, peu importe.
Et l’on pourra, sans dommage, laisser cette mollarchie au mystère de ses stratégies retorses et, peut-être, tout simplement absurdes.
Car une chose, aujourd’hui, compte.
La République islamique d’Iran n’est pas seulement ce régime failli, économiquement ruiné, désavoué par la jeunesse, les femmes, les forces vives du pays et dont la force semble celle d’un tigre de papier.
C’est aussi un pays qui, comme l’URSS des derniers temps où coexistaient un pays réel dévasté par la misère et, découplé de lui, un appareil militaro-industriel ultramoderne capable de faire jeu égal avec les Etats-Unis, s’est doté d’une industrie nucléaire secrète mais performante. C’est un pays dont les programmes n’ont fait, dans ce domaine, que croître et prospérer au gré des changements de cap d’une Amérique oscillant, depuis quinze ans, entre la naïveté façon Obama et, avec Trump, les rodomontades sans effet.
Et, quant à ces programmes, leurs sites ont été, au fil des ans, déplacés et souvent enterrés ; leurs centrifugeuses sont devenues capables d’enrichir l’uranium 25 fois plus que le seuil autorisé ; les inspecteurs de l’AIEA n’y ont plus véritablement accès ; en sorte que les sites sont devenus un gigantesque trou noir, sortis de tous les radars et dont le monde pourrait, dans six mois, dans un an, brusquement découvrir qu’ils ont permis à l’Iran de rejoindre la Corée du Nord et la Russie dans le club des dictatures capables de mettre le feu à la planète…
J’ajoute que les mêmes drones qui ont, à l’exception d’une fillette dans le sud du pays, systématiquement manqué leurs cibles sont tout de même ceux dont Poutine fait usage, depuis deux ans, pour ravager l’Ukraine.
Et j’ajoute que cet Iran dont on moque le pathétique échec face à la solidité du Dôme de fer vient de se livrer, dans le golfe Persique, à des manœuvres navales conjointes, passées étrangement inaperçues, avec les marines de guerre russe et chinoise.
Imaginons, dès lors, que le régime sorte indemne de cette aventure.
Imaginons qu’il la voie, cette aventure, non comme une faillite lamentable, mais comme une répétition générale.
Et supposons qu’il la répète, dans six mois, dans un an, lorsqu’il lui sera techniquement possible d’équiper ses drones et missiles de charges nucléaires devenues opérationnelles.
Il y a là, pour Israël et, au-delà, pour la région, une perspective terrifiante et une menace existentielle.
Et c’est pourquoi me semble déraisonnable le sentiment de « lâche soulagement » qui règne chez les alliés d’Israël et dicte, partout, la même recommandation de « désescalade » et de « retenue ».
L’Iran a déclaré la guerre.
Il n’y a pas d’autre choix, hélas, que de riposter.
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