C’est bien un moment pivot qui a eu lieu le 7 octobre. Bernard-Henri Lévy le perçoit et le raconte comme un traumatisme du monde. C’est pour lui l’équivalent des « cygnes noirs », ces accidents économiques que rien ne laisse prévoir et qui, même après les événements – six mois plus tard – restent incompréhensibles et impensables. Bernard-Henri Lévy parle de déchirure dans le rideau du temps. Car cet événement semble n’avoir aucun passé et force le futur à l’intégrer, malgré́ sa monstruosité́, même si « les tueurs du Hamas n’ont, eux, pas d’avenir ».
C’est là que l’auteur trouve la comparaison la plus forte, la plus terriblement juste, celle avec Amalek. Dans la Bible, le peuple d’Amalek symbolise le mal absolu. Même si les Égyptiens ont asservi les Hébreux, il leur est prescrit de ne jamais molester l’Égyptien, « car, est-il écrit, tu as été étranger dans sa terre ». Amalek, lui, n’a aucun intérêt à son combat contre Israël, si ce n’est de laisser son nom dans l’Histoire. Ce qui le meut profondément, en réalité, c’est sa haine folle du peuple juif. Le Talmud affirme qu’Amalek rêve d’une « solution finale » pour les Hébreux, pour les Juifs, pour les Israélites, pour les Israéliens. Amalek sait qu’il va perdre, car il va s’ébouillanter en se plongeant dans la « baignoire brûlante » du peuple juif. Mais peu importe s’il peut refroidir un tant soit peu Israël, les Juifs du monde, toutes nos démocraties. Cet ébranlement de l’âme juive est le premier des trois chocs, des trois secousses telluriques que perçoit Bernard-Henri Lévy.
Le second est celui qui bouscule la conscience universelle car il touche la question du mal que des hommes peuvent infliger à d’autres hommes. La puissance de pensée de l’auteur est de nous rappeler que toute la philosophie consiste en un effort pour minimiser le mal, voire nous annoncer qu’il avait disparu et que la « fin de l’Histoire » était advenue.
C’est d’ailleurs une constante forte de Bernard-Henri Lévy, depuis La Barbarie à visage humain, de refuser de voir le monde sans le mal qui l’habite toujours. Depuis le 7 octobre, personne ne peut plus nier que le mal absolu est présent. Et peu importe ce que les idiots utiles ou les soutiens consciencieux des assassins pourront dire et réécrire, tout le monde a vu le mal tel qu’il était.
Les retrouvailles de la Russie, de la Chine, de l’Iran, de la Turquie et des djihadistes sur le dos d’Israël pour défier une fois de plus l’Occident, constituent le troisième ébranlement. Ces cinq royaumes se flétrissent une fois de plus en ne qualifiant pas le Hamas de terroriste, en l’aidant, voire en contribuant à le renforcer. Le Hamas devient l’outil de la guerre de ces empires contre l’Occident. Israël est à la fois le limes du monde démocratique et la ligne de front du combat des Lumières contre l’obscurité́.
Israël devient donc, même si le monde refuse de l’admettre par principe, l’étendard des valeurs que portent nos sociétés démocratiques. C’est le courage, comme l’écrit Bernard-Henri Lévy, des « Palestiniens en révolte silencieuse contre la dictature hamassiste ». Parce que le monde revient de sa sidération du 7 octobre, reprend ses mantras habituels, Israël est, comme toujours, désespérément seul. Même si, parfois, secrètement, beaucoup espèrent la victoire du petit « peuple-monde », comme aurait dit Alexandre Adler.
Après cette analyse si fine, le philosophe poursuit sa réflexion et constate que, malgré́ les films insupportables tournés par les assassins, malgré́ tous les terribles témoignages, malgré́ les accablantes preuves matérielles, certains mettent en doute la réalité des faits du 7 octobre dans un nouveau négationnisme perclus de conspirationnisme. La défense des femmes s’arrête ainsi aux femmes israéliennes : leur parole ne serait que propagande au service d’Israël. Ces conspirationnistes sont les mêmes qui arrachent les visages des otages placardés sur nos murs. La défaite morale des ONG, comme la Croix-Rouge et l’Onu, oblige à comprendre que l’humanitaire ne concerne pas les Juifs, comme l’a si dramatiquement énoncé́ le secrétaire général António Guterres qui, le 7 octobre, ne trouve qu’à condamner l’« occupation suffocante » d’Israël. Ajoutant une couche de honte sur l’obsession anti-israélienne de l’institution. Ne parlons pas non plus de l’UNRWA qui, par-delà̀ l’enfermement des Palestiniens dans un déni de réalité qui les empêche d’aller de l’avant et de sortir de leur statut de réfugiés, a pris part aux massacres. Oui, il s’agit bien d’une agence de l’Onu.
Hélas, même chez nous, en France, la vague incroyable d’actes antisémites balaya la solidarité́ du début, comme s’il fallait expier le petit instant initial de solidarité́ avec Israël. Encore seul, une fois de plus seul, le peuple juif doit retrouver son unicité́.
Ce livre de Bernard-Henri Lévy est important car il répond à la question du sens de la présence d’Israël dans le monde. Son destin et sa vocation. Les dernières pages sont les plus bouleversantes. Malgré́ un désespoir qui semble inextinguible, l’écrivain nous ouvre la porte de l’espérance. Car le peuple juif a toujours fait le choix de la vie. Car le peuple juif est détenteur d’un savoir qui dépasse le temps. Il y a près de mille ans, Rachi, un rabbin de Troyes, nous avait déjà̀ mis en garde : les nations du monde refuseront à Israël sa terre, disait-il. Mais le peuple juif sait que la promesse éternelle sera accomplie. Là est notre espérance.
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