Bernard-Henri Lévy : Pouvez-vous nous parler des évacuations de civils, et notamment d’orphelins, auxquelles vous avez participé dans la région de Marioupol ?
Vladislav : Nous avons commencé les évacuations vers le 15 mars 2022. Mais avant cette date, nous avons mis sur pied une sorte de centre de secours pour aider les personnes qui habitaient à Marioupol à se nourrir, à se chauffer… À partir du 8 mars, les premières personnes dont les maisons ont été détruites ont commencé à s’adresser à nous pour que nous les aidions à être évacuées.
Les bus d’évacuation d’organisations internationales comme la Croix Rouge ne pouvaient pas accéder à la ville parce qu’elle était bloquée. Même si, au tout début, les bombardements n’étaient pas très intensifs, nos approvisionnements en nourriture, en médicaments et en aide humanitaire ont donc été totalement bloqués, ce qui était le but de la Russie.
J’ai moi-même évacué, avec des véhicules légers de cinq places dans lesquels je casais huit ou neuf personnes. Ensuite, j’ai acheté une Mercedes de neuf places où je mettais à peu près une quinzaine de personnes. Je jouais également un rôle d’accompagnateur : j’accompagnais les personnes et les colonnes d’évacuation jusqu’à un point de repérage qui se trouvait à Zaporijjia.
J’avais réussi, avec l’aide de Dieu, à évacuer à peu près 1 200 personnes lorsque j’ai été fait prisonnier, pris en otage par les forces russes.
J’ai été emprisonné par les Russes parce que j’aidais des familles de militaires, j’aidais des médecins, j’aidais des enseignants et d’autres personnes. J’ai passé quarante-trois jours en prison.
J’ai subi de très graves tortures. J’ai été battu avec des matraques en bois, avec des tubes en métal, on m’a frappé au visage, on m’a cassé des dents et j’ai perdu une partie de l’audition. Selon les dernières observations médicales, j’ai également des problèmes aux jambes : mes muscles se détachent des os.
Au bout de quarante-trois jours, on m’a relâché à condition que je signe un papier certifiant que je ne reviendrais plus jamais dans les territoires occupés par les Russes. On m’a dicté ce que je devais écrire. J’ai aussi dû certifier que je n’avais pas subi de tortures, que j’avais été nourri et soigné correctement, que j’avais reçu des soins médicaux et qu’on m’avait bien traité pendant mon emprisonnement.
À présent je me retrouve sur un territoire libre de l’Ukraine et j’aide des familles dont un ou plusieurs membres sont emprisonnés. Ces gens ont besoin d’une aide matérielle, mais aussi d’une aide spirituelle. Je sais ce que c’est parce que j’ai moi-même subi cela et que ma femme a attendu mon retour pendant quarante-trois jours avec une immense angoisse. Je continue donc à faire mon travail de bénévole pour aider ces gens-là.
BHL : Où est-ce que vous avez été emprisonné ? En Russie ou dans un territoire occupé ?
Vladislav : J’ai été emprisonné dans la ville de Berdiansk. Plus de cent autres détenus se trouvaient là-bas.
BHL : Qui étaient ces prisonniers de guerre qui se trouvaient là-bas avec vous ? Avaient-ils été pris parce qu’eux aussi faisaient des évacuations ?
Vladislav : Parmi cette centaine de personnes, il y avait peut-être un ou deux autres bénévoles, mais c’étaient surtout des enseignants, des membres de l’administration publique, d’anciens militaires qui résistaient à l’occupation russe parce qu’ils y étaient opposés.
BHL : À quelle fréquence avaient lieu les séances de torture ? Et que disaient-ils pendant qu’ils vous torturaient ?
Vladislav : Les séances de torture avaient lieu une ou deux fois par jour pendant cinq à six jours d’affilée – les plus dures, c’était pendant la nuit.
Ils me demandaient qui était mon chef, à quels ordres j’obéissais. Ils me demandaient également qui étaient les résistants, les partisans, quel type d’armement ils rapportaient. Mais moi j’agissais de mon propre chef, je ne connaissais pas de partisans ni de résistants, et je ne transportais pas non plus d’armements. La seule personne qui me guidait, c’était Dieu.
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