Nous voici à Bruxelles sur les pas de Bernard-Henri Lévy et, avec lui, sur les pas du héros de son best-seller Les Derniers jours de Charles Baudelaire, paru chez Grasset. Un roman mais aussi une biographie fortement empreinte d’imaginaire. « La seule chose qui soit tout à fait exacte, dit BHL, c’est que Baudelaire est bien venu à Bruxelles pour y prononcer des conférences et qu’il a séjourné à hôtel du Grand-Miroir. J’ai choisi de raconter sa fin en Belgique, parce que j’imagine qu’entre ces murs du Grand-Miroir, où sa conscience a chaviré, il s’est posé les questions essentielles qui se posent à l’homme et à l’écrivain. »

BHL marche sur la Grand-Place, où l’Hôtel de ville et la maison du roi, demeures qui se font face, ont accueilli les pauvres conférences du poète. « Baudelaire était venu s’installer à Bruxelles parce qu’à Paris, il n’était plus rien. Les conférences données ici avaient la réputation de rapporter pas mal d’argent. Et puis vivait à Bruxelles une colonie d’intellectuels français exilés dont il espérait se faire reconnaître. » Ses conférences sont des échecs et il ne parvient même pas à se faire entièrement payer. Les intellectuels belges ne connaissent que Hugo, dont la femme réside à Bruxelles. Au lieu de retourner à Honfleur, où sa mère le réclame, Baudelaire reste là, à décliner, seul dans cet hôtel.

À deux pas de la Grand-Place, au 28 rue de la Montagne, une résidence à porte vitrée porte l’inscription « Résidence du Grand Miroir ». C’est tout ce qui évoque la petite pension de famille où est descendu Baudelaire et qui, aujourd’hui, est devenue la Maison des notaires.

Quand on sait que Baudelaire, mis sous tutelle par sa mère, Caroline, et son beau-père, le commandant Aupick, ne cessait de récriminer contre la persécution de leur notaire, maître Ancelle ! « La mère de Baudelaire, surtout, était un personnage terrible, explique Bernard-Henri Lévy. Une mère incroyablement possessive, à laquelle il écrivait tous les jours. Quant à son père, on ne sait rien d’autre de lui, sinon qu’il était un curé défroqué. »

Dans son livre, Bernard-Henri Lévy imagine comment s’est, peu à peu, constitué le délire du poète, que l’on finit par emmener à l’hôpital Saint-Jean-Sainte-Élisabeth, avant d’être ramené aphasique, grabataire, en France, où il finira ses jours sans jamais avoir repris connaissance. L’hôpital Saint-Jean-Sainte-Élisabeth, lui aussi, a été reconstruit. Mais Bernard-Henri Lévy ne peut se défendre d’une intense émotion devant ce lieu où le génie du poète a chaviré. Rien, pas une plaque pour signaler la présence de l’auteur des Fleurs du Mal.

« Les Belges aiment peu Baudelaire. Peut-être parce qu’il a laissé un carnet de notes sur la Belgique qui n’est pas à leur honneur. » La plupart des passionnés de Baudelaire refusent de prendre en comptes ces phrases qui ne ressemblent pas à l’idée qu’il se font du grand poète. BHL, lui, imagine quels sont les fragments restant d’un livre que Baudelaire aurait écrit là, et qui aurait été son testament. « Baudelaire a beaucoup écrit. Des ouvrages mineurs et des articles pour des feuilles de chou, mais il reste l’auteur d’un seul livre, Les Fleurs du Mal. Son histoire pose le problème du malentendu entre l’écrivain et ses critiques. Elle pose la question des rapports qu’il entretient avec l’échec et la gloire. »

Des questions auxquelles BHL s’est toujours confronté, et dont il avoue qu’il a du mal à se dégager. « J’aime être célèbre, mais je sais que c’est une faiblesse. » Une faiblesse à laquelle il imagine parfois de résister. « Quand on est dans l’impasse par rapport à sa propre personnalité, on peut être tenté de rééditer un coup comme Romain Gary-Ajar. » Autrement dit, publier une œuvre, un roman, sous un autre nom que celui qui a apporté la gloire désormais suspecte. Qui sait si, un jour, BHL, écrivain reconnu et couronné, personnage adulé ou honni, n’aura pas, lui aussi, envie de choisir le silence de l’anonymat. Pour que se termine enfin le malentendu qu’il a lui-même créé, et dont on peut imaginer, à la lecture de ce dernier livre, qu’il voudrait bien le voir cesser.