Je peux me tromper.

Mais je ne pense pas qu’il y ait jamais eu, de mémoire d’Américain, campagne si longue, ni si chère, ni si acharnée, que celle qui oppose Barack Obama à John McCain.

Et je ne crois pas que l’on ait vu non plus, depuis très très longtemps, de débat aussi vif, aussi grave, portant sur tant d’enjeux littéralement cruciaux, que celui qui secoue, à cette occasion, les États-Unis.

On se souvient de la théorie de Samuel Huntington sur le fameux « clash » des civilisations censé opposer « the West » et « the rest », l’Occident au reste du monde, l’Amérique à l’Islam. Cette théorie est, heureusement, discréditée.

Elle est jugée, par tout ce que le monde compte d’esprits raisonnables, sommaire, bêtement guerrière, inattentive aux failles qui traversent les prétendus « blocs » des prétendues « civilisations », réductrice. Mais, à lire la presse des derniers jours, à voir la fièvre qui s’empare des deux électorats, à observer avec quelle ferveur des jeunes gens qui n’avaient jamais, jusqu’ici, songé à s’inscrire sur les listes électorales s’apprêtent, cette fois-ci, à voter, on a le sentiment de voir ladite théorie trouver là, dans cette affaire, un champ d’application aussi exact qu’imprévu : comme si le vrai clash, la vraie querelle, le vrai choc des vraies civilisations, était là – dans l’affrontement entre les partisans d’Obama et ceux d’un McCain qui laisse dire à sa colistière, Sarah Palin, que Moïse était le contemporain des dinosaures, que le créationnisme devrait être enseigné dans les écoles au même titre que le darwinisme ou que les États à majorité démocrate ne sont pas tout à fait « américains »…

Non que Barack Obama, de son côté, soit l’homme providentiel dont la seule apparition suffira à effacer cette part maudite de l’idéologie américaine.

Et on ne tardera d’ailleurs pas, s’il est élu, à voir déchanter, en France même, les électeurs par procuration d’un homme politique, exceptionnel certes, mais qui n’est qu’un politique et non l’incarnation d’une humanité nouvelle, citoyenne du monde, métisse – ni, encore moins, je ne sais quel Che Guevara expiant tous les péchés de l’Amérique sur l’autel de la Justice éternelle.

Mais en même temps…

Obama président, ce sera, qu’on le veuille ou non, un autre visage pour un pays ravagé par les années Bush.

Obama président, ce sera, même s’il ne quitte pas tout de suite l’Irak, un vrai virage de sa politique étrangère dans le sens du multilatéralisme et de la main tendue au monde.

Obama président, ce sera, sur le plan intérieur, un principe d’unité pour une société qui n’a jamais été si divisée, balkanisée, tribalisée, qu’en ces sombres temps où l’héritage des ségrégations anciennes trouve un paradoxal renfort dans la correction politique propre aux communautarismes post-modernes.

Obama président, ce sera l’épilogue, en ce sens, d’une longue et belle histoire engagée aux lendemains de la guerre de Sécession, poursuivie par les partisans de Martin Luther King et au vu de laquelle les mandats de George W. Bush feront vite figure de parenthèse désenchantée.

Obama président, ce sera, sur le plan social, la mise en route de ce fameux plan de couverture santé universelle dont l’absence était une tache, un incompréhensible déshonneur, pour cette grande démocratie.

Et Obama président, ce sera un programme économique enfin (politique fiscale allant dans le sens d’une relance par la demande, aide aux collectivités locales les plus touchées par la crise immobilière, régulation d’un capitalisme dont l’intelligence quasi diabolique échappe à ses propres acteurs) qui est le seul à pouvoir, lentement mais sûrement, réparer les dégâts commis par des décennies de règne de l’école de Chicago.

C’est tout cela, à n’en pas douter, que sent le peuple américain.

C’est tout cela qu’ont en tête celles et ceux qui voient dans l’élection d’Obama la chance d’un réveil, d’une nouvelle donne – d’une Amérique qui, en un mot, renouerait avec le meilleur de son héritage et de soi.

Et je n’ai, quant à moi, qu’un regret : le titre de ce premier article que j’avais, il y a quatre ans, après notre rencontre, consacré à celui qui n’était encore que le jeune sénateur de l’Illinois.

Cet article, d’abord paru dans Atlantic Monthly, puis repris dans American Vertigo, j’avais commencé par le titrer : « A Black Kennedy ».

Puis, à la demande des éditeurs de l’Atlantic trouvant que j’en faisais trop pour un illustre inconnu que les commentateurs new-yorkais venaient tout juste de voir surgir dans leurs radars, j’avais fini par atténuer en titrant plus modestement : « A Black Clinton ».

Eh bien je le regrette.

Car « Clinton » n’était, déjà, pas mal vu – mais « Kennedy » était, on s’en rend compte quatre ans plus tard, le vrai nom de l’espérance que ce jeune homme annonçait et qu’il incarne.

Qu’Obama entre à la Maison-Blanche, qu’il devienne, comme je l’annonce, ici, depuis des années, le 44e président des États-Unis et ce sera, comme avec Kennedy, le signe de cette renaissance tant morale que sociale, économique que politique, qu’attendent les États-Unis et, donc, le monde.


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