Mon film, Une autre idée du monde, présenté et distingué au Festival de Jérusalem.
Ce n’est pas seulement, pour moi, l’un des plus prestigieux festivals au monde.
C’est plus qu’un lieu cinéphilique où ont été célébrés Quentin Tarantino, Amos Gitaï ou Savi Gabizon et où l’on me ferait l’honneur, après Rome le mois dernier, et avant New York en janvier prochain, de projeter le film que nous avons réalisé avec Marc Roussel.
C’est, vraiment, Jérusalem.
C’est l’occasion, après dix-huit mois de folie « covidienne », de revenir dans cette ville qui est une région de l’être autant que du monde, de l’esprit non moins que de la géographie.
La pierre de Jérusalem.
Le souffle de Jérusalem.
La légèreté de sable des demeures de Jérusalem.
Le peuple de fantômes qui ne dorment, à Jérusalem, que d’un œil.
Le nom de ce Messie qui s’y montrera en lettres d’un blanc dont un maître du Talmud dit qu’on ne saura pas si c’est le blanc du linceul, de la page vierge ou de la roche vive.
Le feu des paroles qui ont été dites, criées, prophétisées, dans l’enceinte de ces murailles et dont j’ai toujours senti que, même inaudibles, illisibles, oubliées, répétées sans fidélité ni grâce, elles gardent assez de puissance pour nous libérer de certaines de nos chaînes.
L’attente à Jérusalem.
L’espérance à Jérusalem.
Le temps immobile, suspendu et, tout à coup, étrangement fiévreux qui passe, ou ne passe pas, à Jérusalem.
Ce parfum d’histoire et de contre-histoire, cette vie prise dans la trame des jours et dont on devine, pourtant, que l’essentiel échappe à son intrigue, ce point de vue sur l’infini, cette parole à la fois éphémère et marmoréenne – autant de traits, encore, de Jérusalem l’indomptée.
Voici alors ces collines qui ont, un matin, il y plus de cinquante ans, au septième jour de la guerre des Six-Jours, surgi pour la première fois devant moi : elles étaient assez semblables au mirage que Lamartine vit se détacher sur le bleu du firmament et sur le fond noir du mont des Oliviers.
Voici ce ciel dont un autre voyageur, Joseph Kessel, dira qu’il n’est jamais vraiment au-dessus des têtes, mais à droite, ou à gauche, ou plus bas, ou plus haut : ne se confond-il pas si bien avec l’horizon qu’on croirait une plaine bleue où court la rumeur des siècles, où se conservent les plus hautes pensées et où des oiseaux étranges montent la garde ?
Voici ce Mur de toutes les larmes que j’ai, à la même époque, et pour la première fois encore, vu avec les yeux fiévreux du général Moshe Dayan venant de le libérer et de l’offrir à ses frères en Adam ; voici cet amas de pierres indétruit que m’a raconté, quelques jours plus tard, le même été, près de Beer-Sheva, au bout d’une longue route traversant un paysage de roches et de mégalithes que l’on eût dit ravinés par le doigt de Dieu, un Cincinnatus juif qui s’appelait David Ben Gourion et qui, lui aussi, pensait que les reliques du Temple étaient là pour tous les peuples ; voici cette ville sainte dont le grand intellectuel rebelle Yeshayahou Leibowitz estimait, à la fois, qu’elle était une maison de prières pour les 70 nations et qu’elle était la seule ville d’Israël à être ontologiquement non négociable.
Je n’ai jamais oublié Jérusalem.
J’ai toujours pris au sérieux la voix des sages me rappelant, comme dans le Psaume, que l’oublier serait prendre le risque de voir ma main droite, celle avec laquelle j’écris, se dessécher et tout oublier.
C’est là qu’avec Benny Lévy et Alain Finkielkraut nous fondions, il y a vingt ans, un Institut d’études lévinassiennes, houleux et fraternel, qui n’aurait pu, dans notre esprit, avoir son siège nulle part ailleurs.
C’est là que, quinze ans plus tôt, dans mon premier roman, Le Diable en tête, j’ai situé sans hésiter le dernier voyage, la fuite, puis la mort, de Benjamin, mon héros, qui me ressemblait comme un frère broyé.
C’est là que j’ai, au printemps 1979, entendu Menahem Begin rêver à haute voix des accords d’Abraham – ses propres mots ! – conclus avec les pays arabes opposés à l’existence d’Israël.
Là qu’en 2002, alors que je rentrais de Jénine, une ville de Cisjordanie où venait de faire rage une bataille dont se servaient les antisémites pour délégitimer, une fois encore, l’État des Juifs, j’ai vu Ariel Sharon, terriblement las et sombre, envisager devant moi un retrait total de Gaza.
Là que j’ai souvent rendu visite à ce grand d’Israël – le dernier ? – qu’était mon ami Shimon Peres.
Là encore qu’avec Amos Oz, membre fondateur de la revue La Règle du jeu,nous avons médité sur le sens de la parole talmudique voulant que deux Justes – par exemple un Israélien et un Palestinien – « ne tiennent pas forcément le même langage ».
Et c’est là qu’à tous les moments clés de ma vie, quand j’ai eu besoin de souffler, de me ressourcer, de trouver une haute table, ou de capter l’écho de ce que je n’ai pas encore su penser, une force irrésistible m’a attiré.
Je ferai, un jour, le récit détaillé de tout ceci.
Mais j’en suis là.
Et c’est pourquoi avoir montré ce film, ce dimanche 28 novembre, jour de Lumière, à Jérusalem, me rend aujourd’hui si heureux.
Réseaux sociaux officiels