Un exemple encore de la médiocrité inouïe où se complaît, pour l’heure, cette campagne.

Il s’est produit, la semaine dernière, un événement considérable.

Nous avons assisté, le 26 janvier précisément, à un épisode qui passe en importance, et de loin, toutes les maladresses de l’une, toutes les manœuvres de l’autre.

Or ni l’un ni l’autre justement, ni surtout la presse, trop occupée, visiblement, à son décompte des coups bas, coups tordus et attaques à la vie privée qui deviennent l’ordinaire du web-village gaulois, n’y ont prêté de vraie attention.

Cet événement ce fut la tenue, à Madrid, d’un sommet européen.

Ce fut la réunion, autour d’Angela Merkel, des ministres des Affaires européennes des dix-huit pays ayant ratifié le projet de Constitution (plus les représentants de quatre pays, « engagés » dans le processus, mais l’ayant « suspendu » : le Portugal, l’Irlande, le Danemark, la Suède).

Sauf que, à ce sommet où, à l’exception des Anglais et des Hollandais, il y avait donc à peu près tout le monde, à cette première vraie réunion de travail d’après la Grande Panne des années 2005 Iet 2006, il manquait un pays qui n’est pas n’importe quel pays : pour la première fois dans l’histoire des sommets de cette sorte, pour la première fois depuis le traité de Rome jetant les bases, il y a cinquante ans, de l’une des rares révolutions réussies dont il ait été donné aux hommes et femmes de nos générations d’être à la fois acteurs et témoins, il y avait un absent, un grand absent – et cet absent c’était la France…

On prendra le problème par le bout que l’on voudra.

On ratiocinera qu’une nation en campagne n’est plus tout à fait elle-même et que ceci explique cela.

On se consolera en songeant que cette réunion n’avait pas, non plus, le statut des « grands » sommets style Nice.

On objectera même que l’on put, la veille, en marge du programme officiel, dans le cadre d’un colloque organisé par une fondation allemande, entendre un brillant exposé de l’ancien ministre Hubert Védrine.

Reste, hélas, le symptôme.

Reste le symbole, énorme comme un aveu.

Le fait même qu’une rencontre de cette nature puisse se tenir aujourd’hui sans nous, le fait que l’on puisse, à l’aube du IIIe millénaire, évoquer, sans la France, le futur d’une Europe au destin de laquelle elle a, depuis les tout débuts, si constamment présidé, le fait aussi, par parenthèse, qu’en vertu d’une ironie de l’Histoire presque plus grinçante encore, les dix-huit pays en question n’aient rien trouvé de mieux, pour baptiser leur Convention, que le beau nom d’« amis de la Constitution » qui est un nom français, né de la Révolution française puisque c’était le nom du club installé, en 1789, dans le couvent des Jacobins – tout cela est, plus que lamentable, offensant ; plus qu’offensant, honteux ; et, plus honteux s’il se peut, signe d’une honte pour ainsi dire redoublée et au carré, est le fait que la chose soit passée comme une lettre à la poste, quasi inaperçue, sans que ni Mme Royal, ni M. Sarkozy, ni aucun des idéologues engagés dans cette campagne décidément de plus en plus provinciale, n’ait semblé avoir honte de cette honte.

Nous célébrions l’abbé Pierre – et c’était bien.

Nous nous réjouissions de la victoire du président Platini – un grand Français ! et, pour le coup, une belle campagne !

La France passait de l’un à l’autre, switchait, dribblait littéralement, du pouvoir de la compassion au pouvoir footballistique avec une aisance ahurissante – et, à la limite, pourquoi pas ?

Mais de cette perte de pouvoir-là, du fait que la France du non passait au même instant, et pour de bon, en deuxième division européenne, du fait que les ministres luxembourgeois ou espagnols puissent, dans leurs adresses et mises en garde, mettre l’un des pays fondateurs de l’Union sur le même pied, ou peu s’en faut, que la Pologne ou la Tchéquie, il n’était question nulle part – et c’est terrible.

Alors, il reste quatre-vingts jours, n’est-ce pas ? avant le premier tour de l’élection.

Il reste quatre-vingts jours, à chacun d’entre nous, pour choisir, posément, en conscience, celui des programmes qui lui semblera le mieux équipé pour conjurer cette tentation du déclin, voire de la sortie hors de l’Histoire, à laquelle la France des Lumières et des droits de l’homme semble, depuis quelque temps, céder.

Eh bien j’ai envie de dire que, pour les Européens de cœur et de savoir, pour ceux qui ont mal à l’Europe car ils savent qu’il n’y a pas de futur du tout pour une France qui tournerait le dos à l’héritage, sur ce point, de Valéry Giscard d’Estaing et de François Mitterrand, pour ceux qui savent que la France ne sera plus jamais grande, ni solidaire, si elle ne renoue pas, très vite, avec le bon génie de l’Europe, il y aura peu de sujets plus décisifs, que celui-là – j’ai envie de dire aux candidats que, pour moi par exemple, ce jour-là, il s’agira aussi de reconnaître lequel d’entre eux, ou d’entre elles, sera le plus décidé et, naturellement, le mieux armé pour effacer la honte et, d’une certaine façon, l’affront de Madrid.


Autres contenus sur ces thèmes