C’était il y a quarante-trois ans.
J’entends, à la radio, ardente et cassée, la voix d’un vieil écrivain s’adresser à la jeunesse de France pour lui parler d’un pays qui n’est pas encore né mais qui est déjà en train de mourir.
Cet écrivain, c’est André Malraux.
Et ce pays, c’est le Bangladesh où le « Plus jamais ça » de nos pères est sur le point d’être renié et où la voix nous enjoint, comme en Espagne en 1936, de former des brigades internationales.
Nous fûmes une poignée à répondre à cet Appel.
Il m’a, pour ma part, accompagné tout au long de ma vie et de mes engagements.
Et je suis revenu à Dacca pour, avec mes amis bangladeshis d’hier et d’aujourd’hui, sous la double égide de l’Alliance française et du ministère des Anciens Combattants qui, ici, au Bangladesh, est le ministère de la Libération et de la Construction de la Nation, accueillir l’auteur de L’Espoir dans ce petit jardin où il sera désormais chez lui comme il l’était déjà à Teruel, ou dans les maquis de Corrèze ou dans la poche de Colmar en Alsace.
J’entends la voix d’André Malraux.
Je la réentends, ardente et cassée, telle que le temps passé ne l’a, depuis ce jour d’octobre 1971, à mes oreilles, pas changée.
Sauf que c’est à vous que, ce matin, à l’entrée de cette Université de Dacca où il est venu, peu avant sa mort, prononcer l’un de ses discours les plus inspirés, s’adresse sa fraternelle exhortation.
Levez-vous, jeunesse du Bangladesh.
Soyez fiers de votre histoire et des combats qui vous ont forgés.
Sachez que le monde admire en vous les bâtisseurs d’un pays à la fois immémorial et fragile, à chaque instant menacé.
Sachez que nous sommes nombreux, en Europe, à être prêts, si vous le souhaitez, à déchirer avec vous le mauvais voile qui recouvre les millions de morts sans nombre, sans nom, sans visage et, souvent, sans sépulture dont le sacrifice a fait de vous, en cette année terrible de 1971, un peuple libre – comme sont encore sans sépulture les huit morts du Rana Plaza qui n’ont pas été retrouvés et dont je suis allé, ce matin, dans les décombres de l’usine où ils demeurent ensevelis, saluer la mémoire.
Et puis osez, amis, rappeler au monde qui vous êtes vraiment : non pas cet atelier de misère et de sueur ; non pas ce réservoir de victimes sacrifiées sur l’autel de la mode et de ses vanités ; mais la patrie de celui que vous appeliez familièrement « Bangabandu » : Sheikh Mujibur Rahman, le Père de la Nation et une source d’inspiration pour tous ceux qui, ici, ailleurs et, en vérité, sur toute la planète, plaident pour un islam des Lumières, ami de la mesure et du droit, tolérant, modéré, respectueux d’autrui et, en particulier, des minorités.
Sa victoire sur le fondamentalisme est l’un des grands enjeux de notre temps.
Vous pouvez être les champions de cette lutte.
Vous avez la culture, les valeurs, l’héritage politique et constitutionnel, qui vous permettent, si vous le décidez, d’être l’avant-garde de ce combat.
N’y a-t-il pas, de la Bosnie-Herzégovine à l’ancienne Perse, des nostalgiques de Cordoue aux vaincus des printemps arabes, toute une Internationale silencieuse, tout un méridien de nouveaux non-alignés qui attendent leur héraut ? C’est, pour le nouveau Bangladesh, un beau rôle, digne de lui, fidèle aux glorieux combats de ses pères et qui, dans le concert des nations, lui revient.
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