Je n’aime pas trop, en principe, dire du bien des livres que publie Grasset, ma maison d’édition depuis presque trente ans (encore que je devrai peut-être me faire une raison pour le Lambron, que je viens juste de finir et qui, avec le Houellebecq, devrait, en bonne logique, dominer cette rentrée littéraire). Je n’aime pas trop ça, donc. Mais enfin il y a, dès cette semaine, en pleine actualité, le livre de Claude Askolovitch sur Jospin que tout le monde a l’air de prendre pour une biographie politique classique alors qu’il s’agit d’un livre tellement plus compliqué, subtil, retors, ambitieux, talentueux et, surtout, passionnant qu’une simple « bio ». Dès le printemps, quand Le Monde avait révélé l’incroyable longueur de la saison trotskiste du Premier ministre, j’avais écrit, ici même, que la vraie information était que le Jospin gris, sévère, austère, protestant, fermé, coincé, que l’on nous avait toujours présenté et dont il avait lui-même, du reste, entretenu la pieuse légende était en train de se révéler infiniment plus complexe et, peut-être, plus troublant qu’on ne le pensait. Eh bien, avec le Lionel d’Askolovitch, on est servis. Car ce n’est plus un homme politique qu’il nous dévoile, mais un personnage de roman. Et quel personnage ! Quel artiste de soi ! Quel virtuose, non seulement du secret, mais de la multiplication des vies, du cloisonnement entre ces vies, des fidélités conflictuelles et, quand il le faut, quand les identités contradictoires deviennent incompatibles et intenables, de la rupture. Il faut lire les pages sur la fin de l’épisode lambertiste. Il faut lire toutes les histoires de rupture, publiques et privées, qui parsèment cette vie, ce livre. Et le portrait de la mère. Et les femmes. Et Mitterrand, bien sûr, les relations avec Mitterrand, autre « personnage » s’il en est, autre « artiste de soi » – l’incroyable scène (que je trouve dans le second livre, celui de Serge Raffy, qui paraît, lui, au même moment, chez Fayard) où l’on voit le nouvellement nommé ministre de l’Éducation nationale, furieux d’apprendre qu’un de ses proches a été recalé par le président, prendre celui-ci au col, le plaquer contre le mur – une demi-seconde de plus, un battement de cils, et Jospin, oui, frappait François Mitterrand. Bref, cette vie est un roman. Ce livre se lit comme le roman de ce roman. Les Français ont-ils, aujourd’hui, envie de roman ? Sont-ils de nouveau prêts à porter le roman de la vie au pouvoir ? Tout est là. Il n’y a pas, dans ce pays, de question politique plus actuelle ni, pour l’heure, plus incertaine.
Depuis trente ans encore, concernant le conflit du Proche-Orient, je n’ai pas bougé d’un iota. Je suis partisan d’une paix de dialogue et de compromis. Je souhaite l’évacuation, par Tsahal, de ces fameuses colonies qui sont comme un poison à effets lents dans la société israélienne. Je suis favorable, surtout, au partage de la terre et à la création, à côté d’Israël, fût-ce au prix d’une séparation unilatérale, de l’Etat souverain auquel les Palestiniens ont droit. Mais enfin, tout cela étant dit, comment ne pas dire aussi combien me semblent, une fois de plus, étranges les réactions aux derniers développements de cette guerre ? Comment ne pas s’étonner de l’extrême violence des commentaires qui ont suivi, cette semaine, dans les chancelleries et une partie de la presse, la liquidation, à Ramallah, du chef du FPLP, Abou Ali Moustapha ? Si détestable que soit cette politique d’assassinats dits « ciblés » ou « sélectifs », peut-on la mettre sur le même plan, vraiment, que les attentats aveugles, non sélectifs justement, non ciblés, visant donc les innocents aussi bien que les combattants, des kamikazes palestiniens de Gaza ? Et quant à la victime elle-même, quant à cet homme que l’on nous présente comme un « modéré », un « homme de paix », un personnage dont la droiture « forçait le respect de tous », est-il permis de rappeler qu’il a été pendant vingt ans, avant d’en prendre la tête en juillet 2000, le chef militaire du FPLP de Georges Habbache ? qu’il porte la responsabilité, à ce titre, d’innombrables attentats, détournements d’avion meurtriers, tueries – y compris (et ce n’est pas, dans mon esprit, le moins grave) la tuerie de « Septembre noir », en Jordanie, le plus grand massacre de Palestiniens commis à ce jour ? Est-ce faire injure à ce combattant que de rappeler qu’il ne s’est rallié que très récemment, du bout des lèvres, aux accords d’Oslo signés, il y a huit ans, avec ce qu’il ne s’est jamais décidé à appeler autrement que l’« entité ennemie » ? Sans entrer dans le détail des « crimes » que lui imputent les Israéliens et dont je ne sais évidemment rien, faut-il rappeler les attentats à la voiture piégée dont le FPLP, sous sa direction, s’est fait une spécialité et qu’il n’a jamais hésité, depuis Damas ou Bagdad, à revendiquer ? Ces assassinats ciblés sont terribles, oui. Ils glacent le sang. Peut-être sont-ils aussi, comme semble le penser la presse à Tel-Aviv, tragiquement maladroits. Mais, de grâce, ne mélangeons pas tout. Et que l’émotion, légitime, ne soit pas de nouveau l’occasion d’entonner l’éternel refrain de l’éternelle culpabilité israélienne.
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