Message de Ben Laden, le premier depuis longtemps, appelant à la solidarité avec Khartoum dans sa guerre de longue durée contre les musulmans du Darfour. N’est-ce pas, très précisément ce que j’annonçais l’autre semaine ? N’est-ce pas l’illustration de cette loi que je m’époumone à énoncer et qui veut que l’islamisme est d’abord l’ennemi des musulmans ?

Custine et Tocqueville, l’autre semaine encore. Leurs deux voyages, en Amérique et en Russie, aux origines de ce que nous appelons aujourd’hui le journalisme. Ryszard Kapuscinski, dans son dernier livre, forme, lui, une autre hypothèse qui fait remonter la chose, deux mille cinq cents ans plus tôt, aux neuf livres des Histoires d’Hérodote. Hérodote journaliste ? Mais oui. Pourquoi pas. Et, précisément d’ailleurs, dans le chapitre central du livre, à Khartoum.

Ce que m’a appris Tocqueville ? Que la politique prime l’Histoire. Et qu’elle n’est, cette politique, ni toujours ni seulement affaire d’Etat. Les « mœurs », disait- il. Ou, ce qui revient au même, le tissu d’« associations » constitutif de la société civile. Nous y sommes.

Je reviens, tout de même, sur ce message de Ben Laden. Incroyable, quand on y songe, cet appel à soutenir le bourreau, le salaud, le génocideur. Incroyable, inédite, cette façon de retourner la logique et la rhétorique militantes traditionnelles : « ce sera long, très long, mais nous assurons les assassins de notre solidarité durable, sans faille et fraternelle… ».

« Tchékiste un jour, tchékiste toujours ». Et : « la disparition de l’URSS est la plus grande catastrophe du XXe siècle ». Qui parle ainsi ? Poutine. Notre ami Poutine. Ce prétendu allié dans la guerre contre le terrorisme qui est, en réalité, avec son compère chinois, l’obstacle le plus sérieux à une solution non militaire, donc plausible, de la crise nucléaire iranienne. Internationale des fascistes, suite.

La forte intuition de Zagdanski, l’autre soir, chez Ardisson, où il présentait la réédition de son livre sur un antisémitisme qui, de Téhéran à Gaza et, parfois, aux banlieues parisiennes, redevient question d’actualité : la réprobation du nom juif comme plagiat vécu du texte biblique. Mauvaise foi, sans doute. Refus de la dette, ok. Mais, d’abord, cet amour inversé, hystérique, encombrant – et qui « se dissipe en haine ».

Conférence à Los Angeles sur cet antisémitisme qui vient. Trois piliers et trois seulement : l’antisionisme (c’est-à-dire la diabolisation d’Israël auquel tout juif vivant se voit identifié) ; le négationnisme (c’est-à-dire le soupçon fou que ce peuple de victimes puisse être aussi un peuple d’escrocs inventant, afin d’en tirer avantage, le mythe de son martyre) ; la concurrence des victimes enfin (sur fond d’amour de ces « nouveaux juifs », les vrais, les seuls, que seraient les Palestiniens…).

Durban (où tout cela, deux jours avant le 11 septembre, vint se cristalliser) est aussi la ville où Pessoa passe son enfance et son adolescence.

Ce moment, plus tard, beaucoup plus tard, où, étouffant sous le poids de ses hétéronymes, l’auteur entreprend de tuer Alberto Caeiro, d’exiler au Brésil Ricardo Reis, bref de se débarrasser de ses noms trop distincts.

Cocteau, autre expert en hétéronymie, mais publique celle-là, assumée, et comme à ciel ouvert, Cocteau donc, croisant, sur le tard, l’un des insulteurs professionnels qui avaient fait de sa vie un enfer de chaque instant (n’ai-je pas lu, je crois que c’est dans son journal, qu’il garda longtemps l’habitude de quitter les salles de cinéma ou de théâtre avant la fin du spectacle car il savait que René Char l’attendrait à la sortie pour lui casser la gueule ?), Cocteau, dis-je, croisant le type en question et le saluant sans gêne : « je m’étonne qu’il se souvienne du mal qu’il m’a fait et que j’avais, moi, oublié ».

De qui, ce vers : « au fond de chaque mot, j’assiste à ma naissance ? ».

Quel nom ? Quel monde ? Et auquel se résoudre, du je ou de l’objet ? Francis Ponge : l’objeu.

Cet enfant de Kafka qui n’aspire qu’à redevenir le fils de Racine et de Goethe.

Ces femmes à qui l’extrême jeunesse tient encore lieu de beauté.

Cette jeunesse d’aujourd’hui, qui se croit libre parce qu’elle n’a plus de maîtres.

La France du CPE vue par un ami, professeur de sinologie dans une grande université américaine, cette fois de la côte Est : un pays devenu semblable à cet empire idéal dont Lao Tseu disait qu’on y entend les coqs d’un bout du territoire à l’autre. Comme dit un autre ami, Français, lui, et pourfendeur de la « place de la nation » : Chante petit coq, chante !

Malade de son passé, la France ? Et donc de sa repentance ? Et donc de cette manie du retour qui, quand elle ne s’appelle pas nostalgie, s’appelle, en effet, repentance ? Mais non. Ce n’est pas cela. Lisez plutôt Virgile. Et Vico. Et Heidegger commentant Holderlin. Lisez les chantres, au contraire, du bienfaisant retour.

Le même Heidegger dans la Lettre sur l’Humanisme : « la perte de la patrie devient un destin mondial ». A méditer par les nigauds qui croient bon de croire encore en une alternative à la mondialisation du monde.


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