Voici un petit livre – Guy Konopnicki, La faute des juifs, Balland – qui, traitant d’Israël, des Palestiniens, du droit légitime des uns à la sécurité, des autres à un Etat souverain, a le très grand mérite de repartir de zéro et de déblayer quelques-unes des idées reçues qui paralysent, sur le sujet, la réflexion.

On y rappelle comment l’actuelle Intifada, par exemple, commença au moment même où Israël, par la voix d’Ehoud Barak, proposa un plan de paix qui, même s’il n’était pas parfait, reconnaissait aux Palestiniens 95 % des territoires et la souveraineté sur une partie de Jérusalem.

On y démontre qu’Israël, cet Etat « sûr de lui et dominateur », parangon de l’« impérialisme », est le premier vainqueur de l’Histoire qui, s’étant emparé de terres à la suite d’une série de guerres où il fut, chaque fois, l’agressé, les a intégralement rendues (hier, à l’Egypte de Sadate) ou a accepté de les rendre (aujourd’hui, aux Palestiniens, négociations de Camp David, puis de Taba).

On y comprend que les Israéliens ne sont pas des saints ; qu’ils peuvent, comme tous les peuples, commettre des erreurs tragiques et qu’ils sont évidemment capables, notamment, de se donner de mauvais leaders ; mais que Sharon, puisque c’est de lui qu’il s’agit et que son nom est en passe de devenir, plus que celui de Castro, de Pinochet ou de tous les seigneurs de la guerre asiatiques ou africains réunis, le symbole planétaire numéro un du crime et de l’infamie –, que Sharon, donc, est, non la cause, mais la conséquence d’une guerre qui n’en finit pas.

On y voit comment, quelles que soient les responsabilités d’Israël dans le tort fait aux Palestiniens, l’autre faute initiale, celle qui, depuis 1948, empoisonne la région et est à l’origine de ses guerres, tient dans le refus arabe d’admettre l’existence d’un Etat juif, donc de partager la terre avec lui et d’envisager ce compromis territorial, politique, militaire, culturel qui, depuis que le monde est monde, est la seule façon d’éteindre les conflits.

On y observe comment les grands Etats arabes, plutôt que d’intégrer les réfugiés palestiniens de 1948, plutôt que de leur donner un niveau de vie et un statut décents, ont choisi de les confiner dans des camps devenus, avec les années, autant de citadelles d’un nouveau désert des Tartares d’où était censée partir la reconquête future – et on s’y avise que l’Autorité palestinienne elle-même, peut-être pour les mêmes raisons, peut-être parce qu’elle n’ose dire à ces millions de pauvres gens qu’elle leur ment depuis cinquante ans et que c’est ici, en Cisjordanie, à Gaza, qu’ils auront à bâtir leur destin et leur Etat, maintient les camps en l’état et réalise le tour de force de faire d’eux des réfugiés dans leur propre pays.

On y découvre que, de même qu’Israël était, du temps des Soviétiques et de leur soutien aux Etats arabes dits progressistes, le seul Etat de la région où un parti communiste avait pignon sur rue, de même, aujourd’hui, alors que la guerre fait rage, on trouve des mouvements palestiniens qui publient à Jérusalem-Est, c’est-à-dire sous contrôle israélien, des revues interdites à Gaza, sous administration de Yasser Arafat – on y vérifie, autrement dit, qu’Israël reste, malgré la guerre, malgré les bavures, les morts, le bouclage des territoires, la seule démocratie de la région.

Konopnicki nous parle de Durban, cette ville d’Afrique du Sud où toutes les dictatures du monde se sont réunies pour, avec la bénédiction, non seulement des démocraties, mais, hélas, de certaines ONG, s’exempter de leurs propres forfaits, les faire presque oublier et nous dire que rien n’est plus urgent que de lutter contre le vrai, le seul, le plus grand crime de l’époque, assimilable à la traite des Noirs, au racisme, ou même à l’extermination des juifs : le sionisme.

Il nous parle du naufrage de ces ONG qui furent l’avant-garde de l’antitotalitarisme et qui, portant soudain sur leurs épaules toute la bêtise du monde, ânonnant un antisionisme de principe qui fut le cri de ralliement des staliniens, en sont à nous dire que « Saddam est l’avocat des pauvres », que le vrai crime fut moins la destruction des Twin Towers que la présence à Manhattan d’un « centre de la finance mondiale » et que peu importe, pourvu que l’on dénonce Israël, le massacre des Soudanais, Burundais, Angolais et autres Sri-Lankais, les incomptés des guerres oubliées de ce début de XXIe siècle.

L’auteur démontre, au passage, comment la mise en exergue des seuls morts de l’Intifada fonctionne comme un écran cachant que les vrais bourreaux du peuple palestinien ont souvent été ces « alliés », ces « frères », qui, lors même qu’ils brandissaient son drapeau et lui promettaient la reconquête de Nazareth et de Jaffa, déclenchaient les massacres de Septembre noir, puis de Tall al-Zatar au Liban – sans oublier le crime des phalangistes libanais dans les camps de Sabra et Chatila.

Bref, voilà un petit livre vif, lumineux, véhément, que devraient s’empresser de lire tous ceux qui, au Proche-Orient et ailleurs, veulent penser l’après11 septembre.


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