Bernard-Henri Lévy présentait dimanche soir son film, Bosna !, lors d’une séance exceptionnelle au Festival de Cannes. Ce ne pouvait être un secret pour personne, puisque « L’Heure de vérité », le même jour, lui avait été consacrée. Monté sur la scène avant la projection, Bernard-Henri Lévy a reçu une tarte à la crème lancée par un mauvais plaisant.

Le film, qui traite du conflit en ex-Yougoslavie et des enjeux qui s’ensuivent, prend ardemment fait et cause pour la Bosnie. Il mêle les images d’actualité, empruntées à tel ou tel reportage télévisé, à d’autres récemment prises sur le terrain par l’auteur et ses amis. Il fait aussi appel à des documents d’archives et à des témoignages d’hommes politiques, de diplomates, de représentants d’associations humanitaires, d’intellectuels et de combattants bosniaques. Le commentaire, véhément, qui ponctue les images, le plus souvent accablantes (enfants blessés par balles, charniers, hommes maigres derrière des barbelés, tirs à l’aveugle sur les populations civiles…), est porté par un crescendo dans l’indignation, destiné – c’est affirmé à maintes reprises – à secouer la torpeur de l’Occident, à l’inciter à la fermeté, si ce n’est à l’intervention en faveur de la Bosnie. En clair, Bernard-Henri Lévy a conçu et réalisé une œuvre partisane, cela dit, quant au fond, sans intention péjorative.

Sur la manière, il convient de s’interroger. Tout au désir de convaincre, Bernard-Henri Lévy argumente, par exemple, en mettant d’emblée le signe égale entre la guerre d’Espagne et les combats en cours. Là-dessus, il revient à plusieurs reprises. Des images, par association d’idées, lui en fournissent le motif. Une vieille femme en noir lui rappelle Dolores Ibarruri, des Bosniaques cheminant dans la neige l’incitent à jumeler cela à l’évocation des républicains espagnols, forcés à l’exil en France, traversant les Pyrénées.

A d’autres moments, il flétrit le non-interventionnisme des gouvernements français en le comparant à celui de 1936 pour, quelques instants plus tard, comparer M. Izetbegovic à Léon Blum, lequel, justement, refusa d’intervenir en Espagne… Bref, une chatte sans connaissances historiques minimales n’y retrouvera pas ses petits.

Le caractère émotionnel du film ne peut excuser cela. Il est étrange que l’auteur, pour le bien-fondé de sa démonstration, ait eu recours à ce type d’amalgame qui ne peut qu’atténuer, aux yeux des gens qui ont un peu de mémoire, il en reste, le caractère « entraînant » qu’il souhaite donner à son film. On n’ose penser qu’il a été emporté par l’effet Malraux (auquel Jean Daniel, généreusement, le compare) et se soit mis à obéir à une conspiration de l’ego (le sien, bien sûr) pour se mesurer à la grande ombre lyrique à la voix chevrotante. Ce serait là comme jouer un rôle en doublure tardive. Le ton volontiers haletant du commentaire, passablement phraseur au demeurant, la pose fréquente de l’impétrant façon Chateaubriand sur les ruines de Sparte, hélas ! confirment sensiblement ce soupçon.

Cela n’ôte rien, bien sûr, à la souffrance des enfants et à la douleur des mères, mais cela infirme un tant soit peu la pureté du projet, lequel, très vite, se condense en retombées politiciennes immédiates avec le meeting de ce soir à la Mutualité, au cours duquel, « en famille », certains seront sommés par Bernard-Henri Lévy de prendre clairement position sur la Bosnie. Tout fait ventre, n’est-ce pas, et le serpent qui se mord la queue doit vite en recracher un petit bout dans l’urne européenne. Si bien que dimanche soir, à Cannes, on ne savait pas ce que les gens applaudissaient, la cause bosniaque, Bernard-Henri Lévy au côté de Jacques Toubon, Philippe Douste-Blazy, Arielle Dombasle ou les combattants des Brigades internationales. Il paraît qu’il faut s’habituer à de telles équivoques. Je n’y arrive pas.


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