Méfiez-vous du premier mouvement, c’est le bon… Rarement le mot de Talleyrand se sera aussi bien appliqué qu’à l’actuel locataire de la Maison-Blanche. Voyez Charlottesville. Des hordes de suprémacistes blancs envahissent la ville. Ils hurlent des imprécations racistes, homophobes, antisémites que l’on pensait refoulées dans les égouts de l’ancienne Amérique. Et quand les citoyens descendent dans la rue pour leur signifier qu’ils n’y sont pas les bienvenus, ils braillent de plus belle, ils cognent comme des brutes et l’un d’entre eux prend une voiture pour foncer dans la foule des contre-manifestants et tuer. Or que croit-on que fait alors le président des États-Unis ? Il condamne les « deux parties ». Il déplore la violence « d’où qu’elle vienne ». Et il renvoie dos à dos victimes et assaillants, amis de la démocratie et nostalgiques du nazisme, héritiers de Martin Luther King et admirateurs de ceux qui l’ont assassiné. Les conseillers, après cela, rétropédaleront tant qu’ils voudront. Ivanka montera au front pour tenter d’excuser son gros maladroit de père. Et peut-être, quand ces lignes seront parues, le président lui-même aura-t-il trouvé l’occasion de rectifier. Mais le mal est fait. Car tout Trump était bien là. Tout l’esprit d’une campagne qui mobilisa sans vergogne la part la moins honorable de la mémoire politique américaine. Tout le ton d’un début de mandat où l’on eut tant de peine à prendre ses distances avec l’ancien leader du Ku Klux Klan David Duke – puis tant de facilité à insulter les journalistes qui demandaient que l’on condamne le déferlement, depuis l’élection, de la haine antisémite. Oui, fiez-vous au premier réflexe – en politique, hélas, il ne trompe pas.
Avec la Corée du Nord, c’est l’inverse. Et ce sont les adversaires de Trump, c’est la presse, ce sont les chancelleries, qui ont eu, pour le coup, le mauvais réflexe. Car enfin voilà, non plus une bande de factieux, mais un État voyou. Il est, cet État voyou, dirigé par un tyran fou. Il a l’arme atomique. Il annonce, coup sur coup, qu’il vient de réussir son cinquième essai nucléaire, qu’il a la capacité de monter des bombes miniaturisées sur ses missiles Hwasong-14 et qu’ils sont devenus, ces missiles, assez précis pour toucher la côte Est des États-Unis. Il précise que, bon prince, il se contentera, pour l’instant, de viser l’île de Guam. Mais il donne la date possible de l’attaque – « mi-août ». Il donne le temps exact – « 17 minutes, 45 secondes » – qu’il faudra à quatre de ses engins de mort pour frapper à proximité de l’île. Et comment le monde réagit-il quand Trump qui, là, fait son boulot, hausse le ton, clame qu’il n’abandonnera en aucun cas les deux cent mille Américains ainsi mis en joue par Kim Jong-un et informe l’apprenti sorcier qu’un tel forfait ne resterait évidemment pas sans réplique ? Eh bien, le monde condamne Trump. Eh bien, c’est Trump qui est accusé d’enflammer les esprits, d’en rajouter dans l’escalade et de pousser au crime la pittoresque et sympathique Corée du Nord. Et c’est encore lui, Trump, qui, au terme d’un renversement de signes et de rôles dont l’esprit munichois est, malheureusement, coutumier, endosse le rôle du fauteur de guerre menant le monde à l’abîme. Mais il est vrai que, cette fois, ce n’est pas après Trump que le monde en avait, mais après l’Amérique. Et le premier réflexe, en la circonstance, fut celui de l’antiaméricanisme – avec son cortège habituel de haine de soi, de complaisance envers la force et de pacifisme bêlant.
Post-scriptum qui n’a rien à voir – encore qu’il concerne nos excellents confrères du Monde diplomatique dont je montrais, il y a quatre semaines, qu’ils tiennent l’une des places fortes, en France, de cet antiaméricanisme. J’ai un vieil ami, marocain, qui s’appelle Hassan Alaoui. Je l’ai connu il y a presque cinquante ans, à Paris, où il était venu apprendre son métier de journaliste. Il était en stage au Monde. Il voyait en André Fontaine, alors chef du service étranger, un roi du métier en même temps qu’une sorte de maître à penser. Il avait, quelques années plus tôt, dans un monastère du Moyen Atlas, rencontré Hubert Beuve-Méry et se souvenait de ce moment comme d’un événement initiatique. La Rue des Italiens était son côté de Guermantes.
Les conférences de rédaction du journal où l’on se tenait debout, dans le bureau de Jacques Fauvet, lui semblaient la plus noble compagnie qui fût et il souffrait de n’y avoir pas accès, comme Dante abandonné par Virgile aux portes du paradis. Et il avait, enfin, une admiration sans bornes pour Le Diplo et pour Claude Julien, son directeur… Tout cela pour dire que, rentré au Maroc, Alaoui a fait honneur à ses maîtres en devenant, au Matin du Sahara, l’un des plus brillants journalistes du pays ; puis que, parvenu à l’âge de la retraite, il a créé un nouveau titre, petit par la taille mais grand par l’ambition, qu’il a, en souvenir de cette grande scène de son éducation intellectuelle et professionnelle, nommé Maroc diplomatique ; et que les successeurs de Claude Julien l’assignent aujourd’hui en justice pour usurpation de… l’adjectif « diplomatique » ! On aimerait rire de cette prétention grotesque et orwellienne à garder le contrôle d’un mot dont le moins que l’on puisse dire est que l’usage est courant et même planétaire. Mais l’histoire, si bête (et triste) qu’elle puisse sembler, n’en est pas moins symptomatique. Car ainsi font les âmes basses – répondant à l’hommage par l’outrage, à la noblesse du geste par une petitesse d’épicier et à l’offre de fraternité par l’irrespect et le rejet. Longue vie au jeune et vaillant Maroc diplomatique, car il est devenu en deux ans, sur le Net et en version papier – c’est par là que j’aurais dû commencer ! –, un excellent journal, ouvert à la vie des idées et dont les lointains inspirateurs, j’en suis sûr, seraient fiers.
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