La mauvaise foi est en train de devenir la reine de nos vertus politiques. Car enfin quelle séquence ! Le président de la République commence ses consultations par l’ancien Premier ministre socialiste, Bernard Cazeneuve, à qui il offre de gouverner et dont l’intention est de mettre en œuvre une large part du programme du Nouveau Front populaire. L’hypothèse est sabotée à la fois par les Insoumis et par les anciens camarades socialistes de Cazeneuve qui huent son nom, la veille, lors de leur université d’été de Blois et font savoir, le lendemain, qu’ils seront, si l’on s’obstine à le nommer, nombreux à le censurer avec une énergie égale à celle du Rassemblement national et des mélenchonistes. Et quand le président, contraint par les apprentis sorciers des deux bords à renoncer, aussi, au gaulliste social Xavier Bertrand, finit – jeu normal des institutions… – par se rabattre sur le nom d’un homme plus à droite, Michel Barnier, qui n’est pas moins républicain mais semble avoir une chance, lui, de n’être pas récusé d’emblée par une majorité parlementaire, voilà les mêmes qui crient au coup de force, à la dictature et en appellent à la rue. De qui se moque-t-on ? Et la faute à qui, si les mesures de progrès qu’aurait prises le dernier Premier ministre de François Hollande sont repoussées aux calendes ? Le « peuple de gauche », pour l’heure, n’est pas dupe. Ils n’étaient que quelques milliers, samedi, à défiler dans les rues de Paris à l’appel d’apparatchiks qui, parce qu’ils n’ont pas voulu de la gauche Cazeneuve, ont ouvert la voie à la droite Barnier. Mais le spectacle donné par ces gens n’est pas fait pour réconcilier la France avec la politique.
Une ligne de bus, la 310, permettant aux Juifs de Londres de circuler en sécurité, de 7 à 19 heures, entre les quartiers de Golders Green et de Stamford Hill… Au début, on croit à une mauvaise blague, un fake, un poisson d’avril en septembre, un hoax. On se dit : c’est comme le sud des États-Unis, au temps de Rosa Parks, sauf qu’on n’a même plus le droit de s’asseoir à l’arrière du bus, il faut carrément un bus spécial. Mais non. C’est, apparemment, une demande de familles et de communautés qui n’en pouvaient plus d’être harcelées par les bandes antisémites qui tiennent, de plus en plus souvent, le haut du pavé londonien. Et c’était une promesse de campagne du maire, Sadiq Khan, tout content de pouvoir annoncer qu’il a tenu parole et que les Juifs de Londres pourront désormais se déplacer séparés mais en sécurité. Nous en sommes là au pays de Churchill et de Disraeli. On aurait pu décider de faire la chasse à la canaille. La criminaliser, la mettre hors la loi, la réduire. On aurait pu déclarer la guerre à cet antisémitisme que l’on avait cru vaincu avec la défaite politique de la « gauche Corbyn ». On aurait pu s’atteler enfin à lutter contre le séparatisme et le communautarisme islamistes qui, plus encore qu’en France, ruinent le contrat social britannique. Mais non. On s’en accommode. On s’y résigne. On entérine la mise au ban des Juifs et on prend acte, dans les quartiers sensibles, de leur ségrégation de fait. Et on crée – pour, tout de même, les protéger un peu – une sorte de ghetto roulant. Le piège est presque parfait. Et il est monstrueux.
Départ pour les États-Unis où sort, nationwide, mon Solitude d’Israël. Comme pour l’Ukraine quand j’allais, il y a six mois, en plein débat national sur l’aide militaire demandée par Zelensky, projeter mon film L’Ukraine au cœur au Congrès, c’est là que la partie se joue. Télévisions. Presse. Personal appearances, à rythme soutenu, dans des think tanks, des librairies, des synagogues ou des universités des côtes Est et Ouest. Et puis, pour commencer, la rituelle book party que donne, en la circonstance, mon ami Tom Kaplan (auteur d’une trop méconnue Octopus Doctrine, « théorie de la pieuvre », rappelant que les Hamas, Hezbollah, houthis et autres milices chiites opérant, notamment, depuis l’Irak ne sont que des proxys de l’Iran et que rien ne sert de frapper les marionnettes tant que l’on ne dissuadera pas aussi le marionnettiste). Deux dangers, là, guettent. La vague antisémite qui, comme à Londres, comme à Paris, comme partout, déferle sur les campus mais aussi sur toute une frange du parti de Barack Obama et, désormais, de Kamala Harris. Mais aussi une question plus insidieuse, plus sournoise, d’apparence inoffensive mais en réalité dévastatrice, que je sens monter dans l’Amérique profonde depuis l’époque où j’écrivais American Vertigo : « Nous n’avons rien contre Israël… rien contre les Juifs… mais, à la fin des fins, pourquoi tant de bruit et de fureur, de débats et de polémiques, pourquoi tant d’efforts diplomatiques, d’argent dépensé, de pays fâchés et d’alliances ébranlées pour cet État du Moyen-Orient, grand comme deux départements français et si loin des États-Unis – en un mot (titre, jadis, du premier film de Claude Lanzmann…), Pourquoi Israël. » La vérité est que j’ai suivi, depuis 1967, souvent comme reporter, sinon comme témoin horrifié, chacune des guerres auxquelles a été contraint l’État des Juifs. Jamais je ne l’ai senti si vulnérable, et si seul, qu’aujourd’hui.
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