Méfions-nous une fois de plus des apparences. Bernard-Henri Lévy ne serait pas le charmant nouveau philosophe que l’on sait mais un poète plus que centenaire, à l’époque jeune rival malheureux de Mallarmé et disciple absolu, complice démoniaque de Baudelaire lors de la fin dramatique de ce dernier à Bruxelles. C’est en effet l’autobiographie de ce poète inconnu et anonyme que BHL écrit sous une forme romanesque dans Les Derniers jours de Charles Baudelaire. En somme, si la vie est un roman, un roman, c’est toujours une vie. Voici donc Baudelaire évoqué d’un ton neutre par un témoin, un stylo caché comme il existe à la télévision une caméra. Puis par ce jeune poète ému, un tantinet aigri, coquet, avide. Et aussi par des personnages de premier plan de la saga baudelairienne Jeanne Duval, la terrible Mme Aupick, mère de Charles, son éditeur Poulet-Malassis. Et enfin par un photographe, Charles Neyt, et par la dernière logeuse du poète, une Bruxelloise, Mme Lepage. Dans son premier roman, Le Diable en tête, Bernard-Henri Lévy s’était déjà imposé cette exigence de genres multiples : récit, journaux intimes, correspondances, etc. Cette fois, il aborde des tons et des styles différents, en accord avec les personnages qui s’expriment. Comme si on était au théâtre.

Et pourtant aucune comédie ici : le gros livre de BHL est d’abord une formidable reconstitution littéraire assez classique en fait, menée comme une enquête policière. C’est que BHL veut tout et par-dessus tout ne rien oublier : Sainte-Beuve et Victor Hugo, l’histoire de la géographie de son temps, le postromantisme et la sexualité, la religion et la drogue – Charles Baudelaire devenant en quelque sorte le lieu géométrique du XIXe dans son demi-siècle mais aussi les aspirations et les inspirations de l’auteur masqué par le narrateur officiel et les intervenants, ou plutôt les figurants intelligents cités plus haut. En ce sens, les derniers jours de Charles Baudelaire se doublent des dernières réflexions de Bernard-Henri Lévy. Notamment sur des thèmes qui lui sont chers, le catholicisme et le mal : « Qu’est-ce au juste qu’un catholique ? reprit-il [il : Baudelaire], très pédagogue. Quelqu’un qui croit au Mal. Au péché originel. » Le catholicisme et la sexualité déviante. « Ah ! Imbécile qui vous interrogez sur l’intérêt que je porte aux femmes damnées – c’est le catholicisme seulement que, une fois de plus, je vénère en elles. » Ou encore sur les contradictions révolutionnaires de l’amour de l’humanité : « Ce n’est pas en dépit mais à cause de cet amour qu’ils [Marat et Robespierre] ont été l’un et l’autre les plus sanglants bouchers de l’histoire ». En opposition au « cas de Sade […] qui poussa plus loin que quiconque l’exploration de ce fond de ténèbres (oh ! l’horrible minutie des crimes et des tortures) mais qui, dans sa vie, quand il présida la section des Piques, eut à débattre de la peine de mort, fit montre d’une si douce et miséricordieuse modération… »

On le voit, le BHL de La Barbarie à visage humain ou de L’Idéologie française n’est pas si loin. Simplement il a choisi une structure romanesque pour exprimer ses idées. Ce qui est un hommage à la littérature que les professeurs n’ont pas toujours cru impératif de manifester. Comme le talent, cette autre forme du hasard, fait bien les choses, la littérature n’a pas été ingrate avec BHL et son roman est l’un des attachants de la rentrée, un brillant patchwork de biographie, de psychologie, de morale et de rêverie. On ne saurait trop vous inviter au voyage à Bruxelles au chevet de plus grand poète français. Bien sûr, ceux que le talent de Bernard-Henri Lévy agace seront pour toutes ces donnes raisons parfaitement exaspérés. Les autres, dont nous avons l’honneur de faire partie, sont comblés.


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