Comme à son habitude, Bernard-Henri Lévy n’a rien laissé au hasard : la campagne de promotion de son nouvel essai, L’Esprit du judaïsme, est d’une efficacité toute napoléonienne. De quoi décourager d’entrée ceux qui ne supportent pas le côté show off philosophique du personnage BHL. Ce serait dommage, car le dernier opus du prolifique agitateur d’idées est un de ses plus personnels et de ses plus aboutis. Sur plus de 400 pages, le « nouveau philosophe » des années 70 s’interroge sur ses rapports au judaïsme et, bien au-delà de son propre cas, sur ceux qui lient, de manière tumultueuse et complexe, la judaïté à la France.

Après avoir analysé les multiples masques de l’antisémitisme, « cette lèpre de l’esprit », s’attardant sur les formes variées qu’il a revêtues dans notre pays, depuis l’affaire Dreyfus jusqu’aux dérives de l’antisionisme, illustrées par les quelques figures marquantes, comme Jean Genet, ou Roger Garaudy, BHL se livre à une méditation plus personnelle sur la manière dont il a vécu cette hostilité endémique d’une partie de la société française aux juifs. C’est un des plus beaux passages du livre, là où il dévoile une admiration inattendue de sa part, et pleine de tendresse, pour le Premier ministre conservateur Benjamin Disraeli, tel que lui avait fait découvrir la biographie d’André Maurois, là où il tente de définir ce qui fait le caractère « spécial » de la Shoah, en comparaison des autres génocides qui ont émaillé l’histoire de l’humanité.

Le deuxième temps fort de l’ouvrage est une démonstration très brillante du fait que le judaïsme a joué un rôle décisif, à côté du christianisme, dans l’invention de la France. L’auteur du Testament de Dieu mobilise tout son brio de normalien pour faire surgir, entre Clovis et Philippe le Bel, Rachi, « le plus grand talmudiste du monde », à qui nous devrions, en partie, d’avoir franchi le pas du latin au français, pour retrouver ensuite dans le Contrat social de Rousseau l’influence des théories de la souveraineté élaborées par les grands penseurs hébraïques et pour finir en apothéose sur une relecture de la Recherche du temps perdu de Marcel Proust, comme une œuvre cathédrale construite en s’inspirant des sinuosités du Talmud. Pour Bernard-Henri Lévy, si cet apport considérable du judaïsme à l’identité française est si peu reconnu, c’est parce que la Terreur a tenté d’en éradiquer l’idée, sous prétexte de son long flirt avec la royauté. Près d’une moitié du livre, intitulée « la tentation de Ninive », brode la métaphore entre l’histoire du prophète Jonas allant sauver la prospère ville d’Assyrie, vouée à la disparition à cause de ses péchés et de ses façons dissolues, et BHL faisant don de son prestige, voire presque de sa personne, à l’Ukraine, pourtant terre de martyr pour les juifs, et à la Libye, malgré l’hostilité de ce pays à Israël. Ce mélange d’allégorie biblique et de considérations géostratégiques n’est pas la meilleure partie de cet excellent exercice d’introspection d’un incorrigible extraverti.


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