Bernard-Henri Lévy agace. Parfois par son inconsistance. Souvent par trop de suffisance. Mais s’il irrite dans Bosna !, c’est que le philosophe en chemise blanche ressuscite le rôle de l’intellectuel, « poil à gratter » des consciences. Son film « de combat » affirme-t-il, de propagande pourrait-on dire, détonne dans l’avalanche des documentaires passés au tamis édulcorant de la « neutralité objective ».
BHL traite d’une guerre sans « belligérants » car il y nomme les « agresseurs » et les « agressés ». Sans détour. Son objectivité, il la gagne à dire clairement de quel point de vue il malmène nos doutes ou nos lâchetés.
Mettons de côté le ton mélo du commentaire en voix off. Les images sélectionnées parlent d’elles-mêmes. Des images fortes, crues, terribles de réalité. Tous les reporters ayant couvert le siège de Sarajevo les ont subies, les ont tournées, avant de les redécouvrir émasculées dans leurs journaux télévisés. Aux heures de grande écoute, le quotidien de la guerre est trop insupportable pour être livré au spectateur passif sans le filtre, l’autocensure du montage. Bernard-Henri Lévy a largement pioché dans les rushes inutilisés des télés bosniaques ou occidentales pour nous livrer un témoignage brut de décoffrage. Le choc est salutaire.
N’argumentons pas sur la surévalutation du poids d’un colonel d’origine serbe, Jovan Divjak, dans la hiérarchie de l’armée bosniaque. Il y tient sa place sans qu’il soit nécessaire de l’embellir. Et si l’Armija Bih est essentiellement composée de Musulmans, il est vrai qu’elle reste surtout l’instrument de la résistance des Bosniaques de toutes origines.
De même qu’il y aurait plus à dire sur les options politiques du président Alija Izetbegovic, BHL semble oublier qu’il porte, sur sa casquette de chef d’État, le panache du ralliement des nationalistes musulmans dont il dirige le parti, le SDA. Mais son gouvernement a su préserver l’essence multiculturelle de la Bosnie. Un exploit dans un pays déchiré par un conflit à rhétorique ethnique.
Car il est une enquête que Bernard-Henri Lévy a menée avec rigueur et qu’il restitue magistralement : la responsabilité des puissances occidentales, de la France et de la Grande-Bretagne en particulier, dans la tournure prise par la guerre en Bosnie. Le philosophe évacue nombre de clichés sur la serbophilie supposée ou réelle d’un François Mitterrand ou d’un John Ma-or. C’est au fond du cynisme, de la Realpolitik, qu’il découvre la clé de la diplomatie française dans les Balkans. Dans cette croyance qu’il faut, pour imposer une paix durable en cette région éternellement troublée, laisser un régime à poigne reprendre le trône vacant de la Yougoslavie titiste.
Combien d’officiers servant sous casque bleu ont expliqué à des journalistes trop naïfs, lors de discussions dans les popotes de l’ONU, que le communisme disparu, et avec lui la relative stabilité qu’il savait maintenir sans trop s’embarrasser de remords démocratiques, le nationalisme grand-serbe doit s’imposer car il est le plus fort. Cette loi de la Nature appliquée aux peuples, François Mitterrand ne l’a-t-il pas résumée en expliquant aux Français qu’une intervention militaire occidentale n’était pas souhaitable, qui « ajouterait la guerre à la guerre » ?
Un des témoignages du film de BHL est édifiant. L’ambassadeur du Venezuela au Conseil de sécurité de l’ONU y décrit par le menu comment les représentants de la France et de la Grande-Bretagne ont recours à toutes les pressions pour changer le vote de son pays, favorable à la levée de l’embargo sur les armes afin que les Bosniaques puissent enfin se défendre. Et Bernard-Henri Lévy développe le parallèle entre l’attitude de l’Europe d’aujourd’hui et celle des « démocrates » de 1936 face à la guerre d’Espagne. L’historien pourra certainement s’insurger, trouvant le raccourci rapide. Mais il est celui de tous les combattants qui, dans leurs tranchées, défendent Sarajevo sans comprendre pourquoi ils restent seuls.
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