En mai 2022, à la grande surprise des festivaliers, le président Zelensky était apparu en tenue kaki sur un immense écran en pleine cérémonie d’ouverture pour appeler le monde à « s’unir contre le fascisme moderne ».
Trois ans plus tard, alors qu’un tapis de sang continue de se déverser à quelques milliers de kilomètres des marches cannoises, le festival a une nouvelle fois décidé de troquer le rouge et l’or de sa palme contre le bleu et le jaune de l’étendard ukrainien. Le premier jour de cette 78e édition sera celui de l’Ukraine. Avec la projection de trois films documentaires dédiés au conflit.
« Cette programmation vient rappeler l’engagement du Festival de Cannes et sa capacité à raconter grâce aux œuvres de cinéma les enjeux du monde, qui sont ceux de notre avenir », explique la direction générale du festival dans un communiqué.
« Une décision de Thierry Frémaux pour marquer sa solidarité avec le peuple ukrainien, avec la résistance ukrainienne », qui ne surprend guère Bernard-Henri Lévy, coréalisateur de Notre guerre, l’un des trois films présentés ce mardi, tant elle est « fidèle à l’ADN de Cannes ». Ce festival « qui s’est mobilisé tant de fois, pour des cinéastes persécutés comme Jafar Panahi, au moment du siège de Sarajevo, il y a 30 ans, pour la Bosnie, en mai 1968… » Ou plus loin encore, « dès sa première édition au lendemain de la seconde guerre mondiale », en retenant dans sa sélection officielle La Bataille du rail de René Clément.
Les trois films présentés lors de cette première journée aux couleurs de l’Ukraine ne concourront pas pour la palme. Mais pour l’ambassadeur de ce pays qui lutte contre son annexion par la Russie de Vladimir Poutine, être ainsi « présent sur cette scène mondiale » que constituent Cannes et son festival, n’en est pas moins un « événement exceptionnel ». « Important pour nous, pour l’Ukraine », avance Vadym Omelchenko.
« Nous tenons bon uniquement grâce à l’esprit ukrainien, à l’esprit de résistance. Et il est essentiel pour nous de savoir, de ressentir que nous ne sommes pas seuls dans notre combat contre le mal mondial », explique le représentant de Kiev en France également satisfait qu’au travers de cette initiative cannoise « le monde voie que l’Ukraine existe, qu’elle se développe, qu’elle continue de créer dans des conditions extrêmement difficiles, en temps de guerre ». Y compris d’ailleurs dans le cadre de la sélection officielle puisque le cinéaste ukrainien Sergei Loznitsa sera, lui, en compétition pour la palme avec Deux procureurs, un film sur les purges staliniennes.
Mais cette avant-première ukrainienne, est aussi « importante pour le reste du monde », estime l’ambassadeur Omelchenko. « Pour qu’il voie, et qu’il se rassemble à nos côtés, du côté du bien, plaide-t-il. Parce qu’on constate dans le monde entier, y compris en Europe, de graves tendances vers l’autoritarisme, vers diverses formes d’embrigadement, pour le dire franchement, vers le fascisme. Et sur des scènes comme celle du Festival de Cannes, le monde doit s’unir et faire entendre sa voix forte. »
Parce que ce rendez-vous cinématographique est aussi « une chambre d’écho planétaire, un formidable porte-voix », rappelle Bernard-Henri Lévy. Avec Marc Roussel, il a suivi ces deux derniers mois les combattants de la brigade Anne de Kyiv, armée par la France, sur les lignes de fronts de Pokrovsk et de Soumy. Et pour lui, il ne fait aucun doute que « cette guerre est aussi la nôtre ».
« C’est une guerre existentielle pour nous aussi Européens, pour nous aussi Français. Il faut que vos lecteurs sachent que leur sécurité, l’avenir de leurs enfants, le type de société dans laquelle leurs enfants vivront, tout ça se décide en ce moment même, en Ukraine. Pourquoi ? Parce que la vraie cible de Poutine, c’est nous. Nous, notre mode de vie, nos valeurs, notre mode de civilisation. Une civilisation démocratique, libérale et européenne. La hantise de Poutine, c’est nous… »
Même si ce sont les Ukrainiens qui pour l’heure en payent le prix du sang. C’est ce qu’entend rappeler Mstyslav Chernov, un autre réalisateur à l’honneur pour cette journée d’ouverture spéciale.
« En ces jours où l’on parle de paix, de l’avenir de l’Ukraine, de sa terre, j’aimerais que le monde se souvienne que chaque mètre, chaque parcelle de cette terre a été payée du sang et de la vie de quelqu’un », souligne ce cinéaste ukrainien dont le documentaire 20 jours à Marioupol avait été oscarisé. « C’est de cela que parle le film 2 000mètres jusqu’à Andriïvka. »
À 2000 mètres d’Andriïvka est, avec Zelensky le portrait éponyme dressé par Yves Jeuland, Lisa Vapné et Ariane Chemin, l’un des trois films plaidoyers de cette ouverture très ukrainienne du 78e Festival de Cannes. Les projections ont lieu à 10h salle Buñuel pour Zelensky, 13h30 salle Bazin pour Notre Guerre et 15h30 salle Bazin pour À 2000mètres d’Andriïvka.
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