A l’heure, mardi 30 novembre, midi, où j’écris ces lignes, il semble que la navrante affaire Al-Manar, cette chaîne basée au Liban, organe officieux du Hezbollah et que le CSA avait, le 19 novembre, accepté de conventionner, aille vers son dénouement.

Peu importent les péripéties passées et à venir. Peu importe de savoir si c’est le Conseil d’Etat qui s’est défaussé hier sur le CSA ou le CSA qui, aujourd’hui, se décharge sur le Conseil d’Etat. Peu importe même, à la limite, les coups de théâtre procéduraux que nous réservent les avocats, déclarés ou non, de l’organisation terroriste et qui retarderont l’issue d’autant.

Le résultat est là, puisque le Conseil d’Etat, que l’on imagine mal, cette fois-ci, se dérober devant l’évidence, se voit, deux semaines après la fâcheuse décision de conventionnement, saisi en référé « afin que soit ordonnée à Eutelsat la cessation de la diffusion de la chaîne ».

Le résultat est là, puisque le haut conseil présidé par Dominique Baudis et réuni en séance plénière vient enfin de voir ce qui, de fait, crevait les yeux et que le directeur général de la chaîne, Mohammed Haïdar, avait d’ailleurs lui-même avoué, le 25 novembre, dans un entretien au Figaro qui, par son insolence même, par les menaces à peine voilées contre « la sécurité des pays en Europe », constituait à soi seul un document : il « ne devrait pas y avoir, disait-il avec un aplomb proprement sidérant, de modifications substantielles de nos programmes » ; une chaîne capable de diffuser, vingt-neuf semaines durant, un grand feuilleton populaire mettant en scène deux rabbins en train d’égorger un enfant chrétien dont le sang entrerait dans la composition d’un pain azyme était incapable, par nature, de respecter ses « obligations légales et conventionnelles » ; Al-Manar, autrement dit, n’était pas une chaîne mais une officine – cette chaîne que l’on prétendait nous offrir un jour, au même titre que LCI ou Paris Première, était l’instrument à peine déguisé d’une propagande et d’un combat.

Restera à comprendre, quand tout sera fini, comment une assemblée d’hommes et de femmes estimables a pu se laisser abuser par des gens qui, la veille du « conventionnement », à l’heure où ils s’engageaient, main sur le cœur, à ne rien faire, jamais, qui fût de nature à susciter la haine raciale ou à troubler l’ordre public, diffusaient encore des clips glorifiant les kamikazes palestiniens et les présentant comme des stars hollywoodiennes.

Restera à s’interroger sur la misère d’une époque où l’on a parfois le sentiment que ce sont tous nos anciens radars de détection du pire qui se sont pour ainsi dire détraqués et où l’on tient pour allant de soi, au nom de la liberté d’expression, la diffusion à jet continu d’appels à la destruction d’un pays (Israël, cet « abcès purulent », selon le secrétaire général du Hezbollah, Hassan Nasrallah), d’un groupe d’hommes et de femmes (les juifs, ces « responsables de tous les désordres sociaux », selon le mufti de Tripoli) ou, tout simplement, du sens commun (Le protocole des sages de Sion présenté comme vérité révélée sur les ondes d’une télévision où ce sont des « entreprises juives » qui sont partout responsables, sic, du « trafic de la drogue », de l’«  Industrie pornographique » ou de la « corruption des sociétés »).

Restera à savoir, surtout, s’il y a eu des pressions, et lesquelles, pour que l’on donne ainsi ce blanc-seing à des monomaniaques dont le message à nos banlieues, lorsqu’il fut à nouveau question (8 avril 2004, un responsable des Frères musulmans) de l’« héroïsme » des auteurs d’attentats-suicides, était qu’« une nation qui n’excelle pas dans l’industrie de la mort ne mérite pas de vivre » – restera à savoir quel crédit il convient d’accorder aux observateurs qui ont tout de suite suggéré qu’il pouvait y avoir un rapport entre la sanctification d’Arafat, le voyage chez Kadhafi et l’entêtement à voir, dans le Hezbollah, « un mouvement politique et spirituel disposant de députés au Parlement libanais »…

Merci, pour l’heure, à ceux qui, de l’extérieur, dans la presse, à la télévision, sur tel site Internet, ont su éclairer ce débat. Bravo à celles et ceux qui, en rappelant au CSA qu’une chaîne dont toute la raison d’être est de prôner le djihad n’est pas une chaîne comme une autre, ont livré, et commencé de gagner, une belle bataille d’opinion. Et gare, surtout, à bien transformer l’essai et à ne pas céder, par exemple, à l’inévitable chantage de ceux qui, à bout d’arguments, nous expliqueront demain que la technique a ses lois que la morale n’a pas et qu’il est techniquement impossible d’arrêter les ondes de la haine. La défaite d’Al-Manar sera la victoire, non de tel « lobby » comme l’ont dit les incendiaires des âmes, mais de tous ceux qui, en France, toutes confessions confondues, musulmans, juifs, chrétiens et, bien sûr, laïcs, se font une certaine idée de la démocratie et du droit.


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