Monsieur Farouk Hosni aggrave son cas.

Candidat égyptien à la direction générale de l’Unesco et soutenu, dans cette entreprise, par la Ligue arabe, l’Union africaine, la Conférence islamique mondiale, il vient de répondre (Le Monde du 27 mai) au rappel, par Claude Lanzmann, Elie Wiesel et moi-même, du florilège de déclarations anti-israéliennes ou antisémites qui jalonnent sa longue carrière politique.

Il ne nie évidemment, dans cette tribune, aucune de ces déclarations.

Il ne nie pas, et pour cause, sa dénonciation pestilentielle, dans Ruz al-Yusuf, de « l’infiltration des juifs dans les médias internationaux » et de leur habileté diabolique à y « répandre » leurs « mensonges ».

Il ne nie pas avoir répondu, l’année dernière, à un député qui lui reprochait d’avoir laissé des livres israéliens entrer dans la bibliothèque d’Alexandrie ressuscitée et y distiller leur poison : « brûlons ces livres ; s’il s’en trouve, je les brûlerai moi-même devant vous ».

Il n’essaie même pas de minimiser l’acharnement avec lequel il s’emploie, ministre du premier pays arabe qui puisse s’honorer d’avoir, du temps d’Anouar el-Sadate, noué des relations quasi normales avec l’État hébreu, à enrayer cette normalisation, à l’empêcher, à la saboter.

Il se contente, dit-il, de « regretter » ces terribles propos.

Et les « regretter », pour lui, cela signifie concrètement trois gestes.

Primo, demander piteusement que l’on veuille bien faire « la part des choses » et « replacer dans leur contexte » ces appels à la haine ou à l’autodafé.

Secundo, préciser que ces proclamations incendiaires car littéralement faites pour jeter le feu dans les esprits et dans les cœurs, il les a lancées « sans intention ni préméditation ».

Tertio, les rapporter à la légitime indignation d’un homme de « conscience » confronté à l’insoutenable spectacle des « souffrances subies » par un peuple palestinien « privé de sa terre et de ses droits » – et qui se laisse aller, parfois, à des paroles un peu « dures ».

On a bien lu.

Les Palestiniens souffrent – donc on se propose de brûler les livres écrits en hébreu.

Les Palestiniens revendiquent, à juste titre, une terre et des droits – donc on bloque l’ouverture, au Caire, d’un musée de la culture juive.

Les Palestiniens veulent un État et y ont droit – donc, non content de prôner le sabotage de la seule initiative de paix réussie qui, si elle faisait école, aboutirait à la création de cet État, on invite à s’exprimer, à la télévision égyptienne et ailleurs, le négationniste de la Shoah Roger Garaudy.

Que Monsieur Netanyahou, au nom de je ne sais quel obscur calcul de realpolitik, se satisfasse de ce raisonne- ment, c’est son affaire.

Il me semble, moi, à peine digne des protestations d’un petit casseur de banlieue qui, lorsqu’on l’interpelle après qu’il a tagué une synagogue ou un centre communautaire juif, répond, lui aussi, de la même façon : « faut m’excuser… c’est pas ma faute… c’est la faute au conflit israélo-palestinien qui m’a tapé sur le système »…

Il est, dans la bouche d’un homme de culture (Monsieur Farouk Hosni ne se flatte-t-il pas d’avoir, depuis vingt ans qu’il est ministre de Moubarak, ouvert des milliers de bibliothèques dans les villages déshérités de son pays ?), l’exacte reprise de ce fameux discours de l’excuse que l’on prête, d’habitude, aux incendiaires réels : « ils brûlent ? ils tuent ? ils se lancent, tête baissée, dans la folle logique du terrorisme ? faut pas leur en vouloir… c’est sans intention ni préméditation… c’est la Palestine, encore la Palestine, qui leur est juste montée à la tête »…

Et il me semble peu compatible enfin, ce raisonnement toujours, avec l’esprit de mesure et de sagesse requis d’un homme qui prétend à la direction d’un organisme qui, même s’il n’a pas toujours brillé par la fidélité à ses idéaux fondateurs, reste néanmoins voué à la diversité des cultures, à leur dialogue, au développement de l’esprit de tolérance, au service de l’Universel, à la paix.

Monsieur Farouk Hosni, en s’excusant, s’enferre.

Monsieur Farouk Hosni, en « assumant » (c’est son mot) la « profonde émotion » qui lui dicte, depuis ses débuts, son petit coup de sang annuel, se discrédite encore un peu plus.

La rhétorique médiocre de Monsieur Farouk Hosni n’est digne ni de la patrie de Naguib Mahfouz – ni, bien sûr, d’un monde plus que jamais sommé de conjurer le spectre du clash des civilisations et des cultures.

Les Européens commencent de le comprendre (ainsi le Bundestag qui, la semaine dernière, et à la quasi-unanimité, a exprimé son indignation).

Des intellectuels arabes commencent de s’inquiéter des effets délétères de cette affaire (ainsi Abdelwahab al-Effendi qui vient de publier un tonitruant « N’élisez pas Farouk Hosni à la tête de l’Unesco », reproduit par Courrier international).

Appel à Barack Obama (qui arrive au Caire ce jeudi matin), à Nicolas Sarkozy (le siège de l’Unesco est à Paris), aux autres (l’éminente dignité du poste doit faire de cette controverse le souci de la communauté internationale tout entière) : il faut, avant octobre, date de sa victoire annoncée, faire barrage à Monsieur Farouk Hosni.


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