C’est l’année où un écrivain a pu redire, longtemps après Maurras, qu’il fallait être français de souche pour goûter la langue de Racine.

C’est l’année où l’île Seguin a décidé de devenir un musée.

C’est l’année où, dans le peloton des trois « B » (Bourdieu, Bové, Beigbeder), c’est l’écrivain qui a pris la tête.

C’est l’année où la question des responsabilités internationales, et notamment françaises, dans la tragédie de Srebrenica a fait l’objet d’une commission d’enquête parlementaire : il était temps.

C’est l’année où Jean-Marie Messier est devenu le « patron » de Julia Roberts – et il tient à ce que cela se sache.

C’est l’année où un homme d’État israélien, Ehoud Barak, a annoncé un État palestinien avec « Al-Qods comme capitale » – c’est l’année où, autrement dit, a été brisé le tabou de l’unité de Jérusalem.

C’est l’année où Nicole Wisniak a produit et réalisé le meilleur film de la saison : Avedon, Depardieu, Wei Jingsheng, Robbe-Grillet, Enthoven, Lambron, Rédé, sœur Emmanuelle, dans quelques-uns des rôles principaux.

C’est l’année où Sollers est allé offrir sa Divine comédie à Jean-Paul II : beau livre, belle image.

C’est l’année où le débat sur la Corse est devenu – Chevènement… Colombani… – le problème de tous les Français : girondins et jacobins, vrais et faux républicains, tous en piste pour le XXIe siècle !

C’est l’année où Ardisson a voulu casser la baraque, et l’a cassée.

C’est l’année où les Américains ont élu un « serial killer » qui a tué, de sang-froid, cent cinquante-trois personnes ; c’est aussi l’année où l’on a commencé de comprendre que Clinton a été un bon président.

C’est l’année où une grande vivante (Ingrid Caven) a donné son titre à un grand prix Goncourt (Jean-Jacques Schuhl).

C’est l’année du « turnover » des grands tueurs au pouvoir : l’un, Milosevic, s’éclipse tandis que l’autre, Poutine, s’impose et, de Paris à La Havane, se pavane sur la scène internationale.

C’est l’année où Régis Debray a tenté de faire endosser à l’ensemble de ses pairs son faux pas sur le Kosovo ; « l’intellectuel est mort », disait-il ; et il pensait simplement : « je me suis tiré une balle dans le pied ».

C’est l’année où les gazettes ont titré : « Sartre revient » ; mais, pour certaines, j’entendais : « au secours, Sartre revient ».

C’est l’année où l’on a eu envie de retourner à certains Israéliens et Palestiniens le mot de Paul, le Juif Paul, aux Grecs idolâtres : « je vous trouve trop religieux ».

C’est l’année de la vraie réhabilitation de Jacques Chardonne : c’était déjà l’écrivain préféré de Mitterrand ; c’était celui de De Gaulle ; mais il aura fallu une adaptation des Destinées sentimentales pour faire se pâmer d’aise l’ensemble de la critique.

C’est l’année où j’ai découvert que Raymond Aron a écrit un jour qu’il se sentait « moins éloigné d’un Français antisémite que d’un Juif du Sud marocain ».

C’est l’année (Burundi, Liberia, Sierra Leone, Tchétchénie, Sri Lanka, Angola) où Hegel a eu de plus en plus souvent raison contre Levinas : « lorsque l’on regarde un homme dans les yeux, on regarde une nuit qui devient effroyable ».

C’est l’année où, avec Finkielkraut et Benny Lévy, nous avons fondé un institut d’études levinassiennes à Jérusalem.

C’est l’année où j’ai lu le livre de Marlène Zarader La dette impensée. Heidegger et l’héritage hébraïque.

C’est l’année où Yann Moix est devenu, avec Anissa Corto, une sorte de Musset déguisé en Donald Duck.

C’est l’année où Jospin a commencé de devenir président.


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