Je n’aime pas que l’on compare un homme à un cochon.
On peut raconter ce que l’on veut, dire que ce n’est pas une injure mais un hommage, que la meilleure part de l’homme, c’est le libre cochon qui sommeille en lui, les mots sont les mots, ils ont leur vie, leur histoire, et ce mot-ci a été cochonné, justement, par trop de salopards (ne serait-ce que le The Pig, à la une des tabloïds américains, qui a fait le tour de la planète) pour être repris comme cela.
Je n’aime pas que l’on frappe un homme à terre.
Je n’aime pas que l’on s’empare d’un être déjà détruit, risée ou objet d’horreur pour un nombre respectable de ses concitoyens, sans puissance, sans défense, et qu’on veuille lui donner le coup de grâce.
C’est important, « sans défense ». Chacun savait (et les responsables de cette machination en premier lieu) que l’homme ainsi traité, plus bas que terre, roulé dans une fange qui n’est, pour le coup, pas la sienne, n’aurait pas de solution, pas d’issue et qu’il serait fait, non comme un cochon, mais comme le rat que l’on veut qu’il soit aussi. Il ne dit mot ? C’est qu’il consent et c’est la preuve de sa monstruosité. Il proteste ? Il gigote ? Il crie ou il murmure, en dépit de son « inculture », qu’on n’entre pas dans une vie « comme dans un moulin » et que, serait-il le pire des criminels, on n’aurait pas le droit de lui faire ça ? Ah ! Le monstre fend l’armure ! Il était donc un peu humain ! Et le livre se vend encore mieux ! Et le nœud se resserre un peu plus ! Le cochon n’en sort pas. La meute, elle, est contente, car elle ne risque rien, elle gagne à tous les coups, je n’aime pas non plus cela.
Je n’aime pas – question de méthode – qu’on se mette en chasse d’un homme, ou d’une femme ; qu’on y aille comme en reportage ; et qu’on raconte.
Je n’aime pas, femme ou homme, que l’on couche pour écrire, froidement, effrontément : des jaillissements de sperme, sic, contre une juteuse opération éditoriale – c’est dégueulasse.
Je n’aime pas, et cela fera précédent, qu’un homme public soit privé de sa dernière part de secret, dépouillé de ce qui lui reste d’intimité, jeté aux chiens pour faire un succès, et que tout le monde ait l’air de trouver ça normal : on attendait Dodo (la Saumure), dont le livre était annoncé ; c’est Marcela (la Balance) qui l’aura pris de vitesse – quelle honte !
Je n’aime pas ce voyeurisme dont chacun devient le complice – ce lynchage collectif, ce viol « expérimental », auxquels se sont prêtés, et se prêteront sans doute encore, les plus grands journaux et magazines ; je n’aime pas m’être senti, moi aussi, obligé d’écrire cet article.
Je n’aime pas que l’on nous dise – comble de cynisme, sommet de la mauvaise foi ricaneuse : « mais qui vous dit que c’est bien lui ? est-il une seule fois nommé ? n’a-t-on pas veillé à bien effacer le nom du cochon ? hé hé, on est malins ! »
Je n’aime pas, autrement dit, que l’on ait ajouté le petit calcul à la grande vilenie et qu’alors que le cochon est désigné, très clairement, comme un homme poli- tique qui a failli entrer à l’Élysée mais qui en a été empêché à cause de son passage par la case Sofitel puis de son arrestation à l’aéroport de New York, on essaie de nous prendre pour des cons, et les juges pour des enfants, en nous faisant avaler que « toute ressemblance avec une personne ou une situation ayant réellement existé, etc. »
Je n’aime pas le coup de pied de l’âne à « la » femme, « richissime » et « ambitieuse », qui aurait formé le dessein d’être l’épouse d’un président, responsable de tout, vraie coupable – portrait inepte pour qui connaît, ou observe, la femme en question ; procès obscène…
Je n’aime pas que, quand « cochon » ne marche plus, ni « porc », on passe à « cheval » ou à « caniche » : le « bon cheval » pour assouvir un rêve d’amazone à cravache ; le toutou à la dadame, tenu en laisse, bien muselé…
Je n’aime pas les livres à clichés comme on dit romans à clés : outre l’image du maître du monde dominé par sa maîtresse épouse, des pages et des pages de psychologie de bazar sur l’homme qui ne voulait pas être roi, qui fuyait un destin devenu trop grand pour lui, ou qui aurait vendu son âme « contre de l’argent, des palais, des voitures, des serviteurs, des chaussures ».
Je n’aime pas les histoires d’amour où l’homme « tombe par terre » quand il jouit, où il a « l’air d’être mort » et où sa partenaire, qui avait toujours ignoré « à quel point c’est beau d’être une truie », glisse « dans le sperme qu’il y avait par terre ».
Je n’aime pas la mauvaise littérature et, si je ne suis pas sûr que la bonne donne tous les droits, je suis convaincu, en revanche, qu’enfiler ainsi les poncifs, convoquer « le merveilleux » et « la sainteté » pour pimenter un imaginaire désolant et, histoire d’être bien certain d’avoir couvert le spectre de la banalité kitsch, terminer sur une scène de cannibalisme grand-guignolesque, est une circonstance aggravante.
Je n’aime pas être le contemporain de tout ce déballage – je n’aime pas que la littérature, que j’aime tant, serve de caution à ça.
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