Il balaie d’une regard altier et distrait les enfilades de salons du Danieli, à Venise, ce prestigieux et coûteux hôtel où il a fait halte. Le 11 juillet dernier, Bernard-Henri Lévy, 65 ans, assistait à la première de sa pièce Hôtel Europe. Décor de ce « monologue en cinq actes » : le fabuleux théâtre de la Fenice, célèbre pour ses fauteuils roses et ses galeries dorées. Peu avant, la pièce avait été créée à Sarajevo. Elle arrivera le 9 septembre au Théâtre de l’Atelier, à Paris.
Le spectacle à Venise a été applaudi. La performance du comédien Jacques Weber n’y est pas pour rien : deux heures seul sur la scène, à peine aidé d’un téléphone portable, d’un divan-lit, d’une baignoire et d’un écran d’ordinateur, avec sa barre de tâches Google, où défile la mémoire européenne. Cet homme en pantalon et veston sombre est un écrivain. Il est venu à Sarajevo, la ville de l’attentat du 28 juin 1914 qui déclencha la guerre, pour en célébrer le 100e anniversaire et parler de l’avenir de l’Europe. Il nous raconte son angoisse, son désarroi, sa rage et sa désillusion : « Comme peut-on commémorer le début d’une guerre ? La fin, oui, mais le début ? », « Et comment glorifier l’Europe ? » Sarajevo, il la connaît sur le bout des doigts. Il y fut lors de la sanglante guerre du Kosovo, il y a vingt ans. L’Europe est-elle morte en 1914 ou en 1994, se demande-t-il ? Ou est-elle en train de mourir en 2014 ? L’Europe est-elle morte pendant la guerre d’Espagne, à Munich, à Auschwitz, à Srebrenica ? Ou se meurt-elle à Lampedusa ?
On l’aura deviné, Hôtel Europe est un texte autobiographique. Mais, si on demande à Bernard-Henri Lévy pourquoi, au fond, il n’a pas joué son propre rôle, il répond : « J’aurais pu. Mais quand je vois le métier qui accompagne et soutient chacun des gestes de Weber, quand je réalise qu’il a su être dans le passé aussi bien Don Juan que Cyrano, et qu’il est donc capable de déployer une gamme de gestes, d’accents que jamais je n’aurais pu avoir, je me réjouis mille fois de le voir interpréter mo rôle ». BHL a l’air sincère. Il semble aujourd’hui moins vedette et plus concentré qu’autrefois. Moins exhibitionniste aussi, mais toujours aussi habité par sa mission d’incarnation de l’intellectuel moderne, qu’il ne voit ni comme un « diplomate de l’ombre », ni comme une « sentinelle indignée », une de ces « chouettes de Minerve qui se lèvent à la nuit tombée » (Hegel), et qui restent au bord du champ de bataille, attentives à commenter la défaite, BHL préfère à cette chouette la « biche de l’aurore » de la philosophie juive, qui arrive vite sur la scène et reste au cœur de la bataille.
Convaincue de ne « jamais s’être sali les mains », même s’agissant de Sarkozy, il se veut aujourd’hui porteur d’un signal d’alarme. L’Europe a « besoin d’un coup de théâtre », dit-il. On a longtemps cru qu’elle se « ferait toute seule », qu’elle était une « cause entendue » alors qu’elle menace de se transformer en « cause perdue ». L’Europe est un « mot vide » qu’il ne faut pas laisser aux eurosceptiques, aux nationalistes, aux xénophobes. L’identité européenne a un sérieux retard à l’allumage. Avant qu’elle ne devienne ruines décombres et silence, « mobilisons-nous », « faisons la révolution », « appelons au secours les grands Européens », Goethe ou Byron, contre les Poutine, Berlusconi, Grillo ou Le Pen. Pour sauver et l’Ukraine et les boat people de Lampedusa.
Lyrique, BHL. Encore plus lyrique, son acteur Jacques Weber, quand il énumère les ministres du futur « gouvernement de l’Europe ». Avec Diderot à l’Éducation, les Pussy Riot aux Droits des femmes, Goethe aux Beaux-Arts, mère Teresa aux Finances. Et Dante au « ministère de l’Enfer ». Une provocation, bien sûr. Un « coup de théâtre ».
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