Acte 1. Un reportage dans Le Monde. Une une de Libération appelant à « agir ». Les French doctors historiques que l’on voit, derrière l’ancien président de Médecins du monde Jacky Mamou, courir radios et télévisions sur le thème « la compassion, ça suffit ; vite, maintenant, des décisions ».

Acte 2. Un beau message du président de la République, Jacques Chirac, qui m’est remis dans l’après-midi et dont on me demande de donner lecture, le soir même, en ouverture du meeting organisé, à la Mutualité, par Urgence Darfour, SOS Darfour et la plupart des associations qui, depuis quatre ans, crient dans le désert leur indignation et leur rage : si les « exactions » continuent, répond enfin le président, si les « crimes contre l’humanité » se poursuivent, si l’on ne parvient pas à « juguler les milices qui sèment la terreur », la communauté internationale n’aura « plus d’autre choix », en effet, que de décréter des « sanctions » contre Khartoum.

Acte 3. Tous les grands candidats à la succession qui défilent à la même tribune pour déclarer : l’un (Bayrou) qu’il « n’y a rien de plus facile que d’arrêter cette tragédie » ; l’autre (Royal) qu’il suffit, pour contraindre le Soudan, de faire pression sur son allié chinois et que la meilleure des pressions sera d’« utiliser la date des Jeux olympiques », c’est-à-dire, en clair, de menacer de les boycotter ; le troisième (Sarkozy, dans un texte lu par Nicole Guedj) qu’il s’engage, s’il est élu, à un « durcissement décisif » et, s’il le faut, « unilatéral » des sanctions contre un régime dont il avait déjà dit, dans son discours d’investiture, qu’il se refusait à tenir les crimes pour un « détail » – sans parler du ministre des Affaires étrangères, Philippe Douste-Blazy, s’invitant en fin de meeting pour, non sans un certain panache, tenter d’expliquer une politique à laquelle, visiblement, lui-même ne croit plus.

Acte 4. Publiée, à la veille du sommet de Berlin, par The Independent de Londres en même temps que par quelques-uns des grands titres de la presse européenne, une « Lettre aux dirigeants européens » que signent des écrivains dont le moins que l’on puisse dire est qu’ils n’ont pas l’habitude de se trouver ainsi rassemblés (Harold Pinter et Vaclav Havel ; Günter Grass et moi ; sir Tom Stoppard ; Dario Fo ; Umberto Eco ; Seamus Heaney ; Franca Rame ; Jürgen Habermas) : « l’Europe qui a permis Auschwitz et qui a échoué en Bosnie ne peut pas tolérer les meurtres du Darfour » ; l’Union européenne dont on célèbre le cinquantenaire ne peut pas rester sans mot dire face à des « massacres » qui « répètent Srebrenica » ; que vaudrait cette « célébration », que pèserait notre « civilisation », si nous laissions, une fois de plus, se perpétrer un forfait d’une telle ampleur ?

Acte 5, enfin. La présidente en exercice de l’Europe, Angela Merkel, qui, à Berlin donc, le lendemain, et alors que, comme le raconte bien la presse de ce lundi (Stephen Castle, notamment, dans The Independent) la question du Darfour n’était pas inscrite à l’agenda du Sommet, hausse à son tour le ton et amplifie le mouvement : dénonciation sans ambiguïté des souffrances « intolérables » des Darfouris ; « appel au président Omar el-Béchir du Soudan pour qu’il se plie aux résolutions des Nations unies » ; annonce, « franche » et « solennelle », d’un « durcissement » de « sanctions » que l’entêtement prévisible de son régime rendra, hélas, « inévitables » – tout est dit !

Alors on parlera, si l’on y tient, de poussée de fièvre médiatique, d’emballement.

On ironisera, si la souffrance sans nom de ces millions de gens ne vous a pas ôté le goût de la polémique, sur ceux de ces responsables qui, sans rendez-vous électoral ni mobilisation des opinions, ne se seraient pas si clairement engagés.

On ne pourra nier qu’il s’est passé quelque chose, là, pendant ces jours miraculeux où la question, si longtemps occultée, s’est imposée soudain à tous – on ne pourra nier que la « loi du tapage » chère à Bernard Kouchner, la « loi du bon chantage démocratique » que j’ai évoquée dans ces colonnes n’aient produit, une nouvelle fois, quelques-uns de leurs effets.

Élections piège à cons ?

Oh non ! Élections, sommation.

Élections, occasion, pour tous les électeurs et pour ceux d’entre eux qui, en particulier, ont le moyen de parler un peu plus haut, de prendre leur champion au collet et, une fois élu, au mot : sur cette question-ci, sur la question de ces crimes qui, si nous ne faisons rien, constitueront le premier génocide du nouveau siècle, il n’y a plus place pour la querelle et il faut parler d’une seule voix.

L’avenir dira la part, dans l’esprit de ceux qui nous ont répondu, de la sincérité et du cynisme.

Et nous saurons vite s’il s’est agi d’un frémissement ou d’un sursaut, d’une fièvre sans lendemain ou d’une vraie prise de conscience.

D’une chose, en tout cas, il faut que nul ne doute : nous sommes un très grand nombre, en France et partout en Europe, qui, quoi qu’il arrive, ne lâcherons plus prise ; nous sommes (écrivains, humanitaires, citoyens de toutes origines, confessions, opinions) des millions et des millions qui exercerons jusqu’au bout, c’est-à-dire jusqu’à ce que paix s’ensuive, notre droit d’interpellation légitime et, en la circonstance, vitale.


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