Luisa Ballin : Après Un jour dans la mort de Sarajevo, vous présentez aujourd’hui à Cannes votre deuxième film Bosna !. Pourquoi cet engagement en faveur de la Bosnie et pourquoi présenter ce film, aux images terribles, à Cannes ?

Bernard-Henri Lévy : Mon engagement date de la première heure, parce que j’ai senti que quelque chose d’essentiel se jouait là. Rien moins que le destin de l’Europe. Le premier film était un film rapide, fait dans l’urgence, un fim tract. Le deuxième est plus ambitieux. Il raconte l’ensemble de la guerre du point de vue des Occidentaux. Son vrai sujet ? L’impuissance, l’aveuglement et la lâcheté. L’ambition tient aussi à la forme. C’est un film de cinéma et non plus de télévision. Pourquoi Cannes ? Pourquoi pas ? Les Bosniaques l’ont souhaité.

Votre intention est-elle de choquer les consciences ?

C’est l’intention de Gilles Jacob, le délégué général, qui a été le premier spectateur de ce film et qui je crois l’a aimé. Ce film peut, en effet, représenter un choc politique salutaire.

Vous êtes un personnage médiatique et l’on vous accuse d’utiliser les médias pour défendre la cause de la Bosnie…

S’il n’y avait pas eu les médias, s’il n’y avait eu que les hommes politiques, la Bosnie serait morte depuis longtemps !

Pourquoi n’a-t-on rien fait pour la Bosnie, en France comme ailleurs ?

Parce qu’on a souhaité la victoire des Serbes. En vertu d’un calcul politique apparemment étrange, en réalité très cohérent. Qui est le vrai sujet du film. Parce qu’on pense que la Bosnie est une fiction, qu’elle n’existe pas et n’a jamais existé. Parce qu’on pense que cette zone des Balkans est le trou noir de l’Europe et qu’elle n’a échappé au chaos que sous la poigne d’un gendarme habsbourgeois, ottoman, communiste, et que l’on estime qu’il faut d’urgence un nouveau gendarme, qui ne peut être que le gendarme serbe. On a donc joué, dès le premier jour, la carte du gendarme serbe.

Votre film est à la limite du militantisme…

Il est au-delà de la limite. Mon film choisit son camp. Je ne suis pas journaliste ou reporter de guerre. Je n’ai pas ce talent. Je suis un écrivain engagé.

Dans Bosna !, vous dressez un parallèle avec la guerre d’Espagne. Pourquoi n’y a-t-il pas eu de brigades pour aller défendre la Bosnie ? N’y a-t-il plus de héros ?

Changement d’époque en effet. La question a été posée aux Bosniaques. Et leur réponse a été que le problème n’était pas de recevoir une brigade internationale, mais de lever l’embargo sur les armes, pour qu’ils puissent se défendre eux-mêmes. Ou alors, si on leur liait les mains, de procéder à des frappes aériennes.

Pourquoi les gens comme vous, l’opinion publique, que les dirigeants craignent pourtant, n’ont-ils pas réussi à les convaincre d’agir ?

Parce que nos dirigeants occidentaux ont peur des valeurs qu’incarne la Bosnie, notamment le cosmopolitisme. L’idée de ce mélange fait peur à l’Europe démocratique. C’est terrible, mais je crois que c’est la vérité. Au fond d’eux-mêmes, les hommes politiques, les diplomates, ont intériorisé l’idée que le droit d’habiter un heu devait passer par l’appartenance à une communauté homogène, ou supposée pure.

Que répondez-vous à ceux qui vous accusent d’utiliser la Bosnie pour votre propre cause ?

Rien.


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