En a-t-on parlé de ce premier roman ! En voilà un, au moins, qui était sûr de n’être pas noyé dans le flot de la rentrée et d’échapper à l’anonymat, d’ailleurs parfois injuste – mais on ne peut pas tout lire – des débutants. D’ailleurs, il était sur la liste des Goncourt dès son apparition en librairie !

C’est que BHL est tout, sauf un inconnu. Visage romantique, directeur de collection chez son éditeur, omniprésent dans les médias (dont, dans ce livre, il montre l’importance, et l’art de s’en servir) il a aussi, tout de même, trois livres déjà à son actif, trois essais dont le premier, La Barbarie à visage humain, démythifiait le marxisme, et le dernier, L’Idéologie française, réglait son compte au fascisme français.

Mais, pour édifier ce qu’il appelle lui-même « son œuvre », il fallait un roman. Car c’est vrai, ce sont les romans, les grands, qui restent dans la mémoire des peuples, quand l’écume des controverses politiques ou philosophiques a disparu.

Voici donc le nouveau philosophe, dont les préoccupations – le judaïsme, la collaboration, le marxisme – sont ici toujours présentes – transforme en nouveau romancier. Pas si nouveau que ça, à vrai dire. Débutant sur un artifice très classique et très convenu – un écrivain, dans lequel, à la fin du livre, on reconnaît l’auteur, rencontre à Jérusalem le héros de l’histoire, qui le fascine et sur lequel il décide d’enquêter – le livre, d’une écriture très classique et plus cursive que littéraire adopte un schéma lui aussi déjà bien exploité : le kaléidoscope.

C’est, en effet, à travers cinq points de vue différents que l’on tente d’approcher et de comprendre Benjamin C., petit enfant de notre siècle, né dans l’opulente bourgeoisie et disparu dans l’anonymat traqué d’un ex-terroriste.

Premier volet : le journal de Mathilde, la mère de Benjamin (comme Benjamin Constant, l’une des références, avouée, de l’auteur). Avec, en hors-d’œuvre, un morceau de bravoure : la description de son accouchement. Pas mauvaise, d’ailleurs : pour être nouveau philosophe, on n’en est pas moins intéressé par les femmes. Très intéressé, même : Le Diable en tête leur fait la part très belle.

Et d’abord à cette Mathilde, jeune et belle épousée d’un brillant centralien, Édouard, qui sait faire prospérer l’argent de beau-papa. Mais qui dérape, la guerre venant (Benjamin naît en 1942) vers la collaboration. Et s’engage dans la LFV, pour se retrouver, en 1945, à Sigmaringen. Pendant tout ce temps, la belle Mathilde tombe dans les bras d’« oncle Jean », le meilleur ami d’Édouard. Et ne parviendra pas, à la Libération, à sauver le traître, qui a, entre autres, envoyé une famille juive à la mort, et qui paiera de sa vie un choix qui, depuis toujours, obsède d’ailleurs BHL.

Avec une pareille hérédité, découverte tout à trac en pleine adolescence, notre Benjamin ne pouvait qu’être perturbé. « Oncle Jean », interrogé dans le deuxième volet, s’explique sur son enfance et son adolescence, jugeant l’enfant avec ses yeux de résistant devenu social-démocrate, notable, et… de plus en plus conservateur.

Troisième volet : les lettres de Marie, jeune étudiante juive alsacienne débarquée à Paris et tombée sous le charme – il est grand, car Benjamin ressemble à un archange blond – de celui qui, à l’époque, est devenu maoïste et alterne les soirées dans les palaces parisiens que lui permet sa considérable fortune, et l’« établissement » chez Renault, à la chaîne, à l’époque de la mort d’Overney et du meurtre de Nogrette. Marie, fascinée, ne parvient pas à se déprendre de cet être d’exception, doué pour tout (et notamment pour l’amour) et qui pourtant, bientôt, la néglige.

Quatrième volet : le récit d’un avocat qui, naguère, a tenté de sauver le père et qui a rencontré le fils au moment où il portait les valises du FLN, pendant la guerre d’Algérie. On suit, là, l’itinéraire d’un militant gauchiste, de Beyrouth au camp de Sabra, et jusqu’à Rome et ses Brigades rouges. Une sorte de descente aux Enfers de la pauvreté, de la peur, de l’humiliation et de la dérision. Qui se termine par le meurtre d’un policier parisien…

Cinquième et dernier volet : la confession de Benjamin lui-même, échoué, au bout d’une longue traque, à Jérusalem où l’ancien terroriste propalestinien semble avoir trouvé la paix, sinon de l’âme, puisque, il faut bien finir le livre, il s’y tuera, mais celle du quotidien, car c’est « la seule ville au monde où l’on peut être, à la fois, sens contradiction ni chantage, d’ici et de là-bas ».

À travers ces cinq regards, la personnalité de Benjamin se dessine, par à-coups, et, c’est l’un des atouts du livre, ce n’est jamais tout à fait celle que l’on croit, car, à chaque fois, un nouvel éclairage nous prouve la complexité du personnage. Ce qui maintient, jusqu’au bout, l’intérêt pour ce héros à la fois sentimental et engagé, un peu en creux tout de même, comme si son créateur, en voulant trop le doter, n’avait pas su, tout à fait, lui donner vie… Mais ce gros livre (499 pages) se lit… comme un roman-feuilleton, avec son lot de retournements, d’amours, parfois insolites.

Dire qu’« au bout de ce visage » (celui de Benjamin) « il y avait le siècle » est, sans doute, un peu prétentieux. C’est un petit bout de siècle, vu par la lorgnette du microcosme où évolue l’auteur. Mais un petit bout que le public le plus vaste prendra, sûrement, plaisir à explorer, car BHL – qui n’est ni Benjamin Constant ni Malraux, mais un très honnête romancier – le campe bien, et de façon très vivante.


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