« Au bout de ce visage il y avait le siècle. Cela valait bien le temps d’une enquête », écrit Bernard-Henri Lévy dans les dernières lignes de la préface de son roman.

Le siècle, le plus célèbre de nos philosophes n’a jamais cessé d’y être étroitement mêlé par ses livres et par ses prises de positions. Il fallait bien qu’un jour, il personnifie ses idées et ses théories, qu’il les incarne dans un individu rassemblant les gènes de ses croyances et de ses hésitations.

Bernard-Henri Lévy a donc donné naissance à Benjamin C… Héros de son premier roman.

Un roman qui évidemment fait du bruit en raison de la personnalité de son auteur. Un roman qui traverse les quarante dernières années depuis le Paris de l’occupation jusqu’au Jérusalem d’aujourd’hui en passant par Mai 68, Rome et les Brigades rouges.

Un roman fait davantage de fureurs que de passions.

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À trente-cinq ans Bernard-Henri Lévy est toujours un beau gosse : voyez son dernier ouvrage qui est aussi son premier roman. On le présente comme un disque 33 tours avec la photo de la vedette et le nom par-dessous.

Culte de la personnalité. Culte du moi. Quand on est parvenu il est vrai à réduire son nom à des initiales et que l’on se fait appeler BHL comme d’autres devenaient FDR, JFK, PMF ou VGE, on peut estimer avoir gravi l’essentiel des marches du succès et de la popularité et ne plus miser que sur sa renommée.

Celle de Bernard-Henri Lévy est grande. À défaut de conduire une nouvelle philosophie comme Jean-Paul Sartre – que l’on ne baptisa jamais JPS – il se montre le plus brillant des Nouveaux philosophes. Tour à tour La Barbarie à visage humain, Le Testament de Dieu et L’Idéologie française l’ont placé aux premiers rangs de maîtres de la pensée contemporaine et des philosophes engagés.

Bernard-Henri Lévy ne se contente pas de témoigner du temps qui passe. Fils de la révolution avortée de 1968, il continue d’être déchiré entre ses obsessions romantiques et sa volonté de préserver la liberté de l’homme nouveau.

Il souffre idéologiquement.

« Tout ce que j’ai écrit c’était par nécessité intérieure » a-t-il confié. Ainsi son œuvre serait d’abord la confession d’un enfant du siècle qu’il poursuit maintenant sous forme de roman puisque, explique-t-il Le Diable en tête n’est que la continuation par d’autres moyens des livres précédents.

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Son premier roman n’est donc pas digression ou amusement d’auteur voulant changer de genre mais bien application d’une autre méthode pour mieux faire passer le message auprès du grand public. Comme Sartre ou comme Camus, Bernard-Henri Lévy n’écrit pas d’histoire neutre.

Le Diable en tête est un roman-témoignages. Ils sont cinq à nous révéler le héros, Benjamin C., enfant de la bourgeoisie parisienne dont le père, collaborateur allant jusqu’au bout de son engagement, a été fusillé à la Libération. Il y a la mère, Mathilde, « Oncle Jean » – le meilleur ami du père et l’amant de la mère – Marie, une des maîtresses de Benjamin, Alain Paradis, l’avocat, et Benjamin dont la confession est recueillie par l’auteur lui-même.

Cinq témoignages. Cinq éclairages parfois contradictoires, comme peuvent l’être l’homme et la vie, recueillis sous cinq formes différentes : le journal, l’interrogatoire, les lettres, le récit, la confession.

Et Benjamin qui, lentement prend forme. Né dans la France de l’épuration alors que la tourmente n’est pas encore apaisée, son destin sera happé par les tourbillons idéologiques qui l’arracheront aux délices de cette société dorée pour laquelle il était programmé.

Benjamin dans l’aventure révolutionnaire, Benjamin terroriste international qui d’errance en errance s’en vient mourir à Jérusalem sur cette Terre promise que la famille juive, dénoncée par son père quarante ans plus tôt, n’aura jamais vue.

Ainsi Benjamin croit-il retrouver « cette évidence du monde » que son géniteur à la veille de son exécution, disait avoir perdue. Mais cette évidence le conduit à l’amertume et à la tristesse devant une mort insensée à l’image d’une vie privée de sens.

Mourir comme on rate une marche. Bernard-Henri Lévy n’a pas manqué celle du nouveau romantisme.


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