L’événement de la rentrée, c’est Le Diable en tête, premier roman et cinquième ouvrage de Bernard-Henri Lévy, jeune homme pâle et grave, dont les écrits courageux lui ont fait amis et ennemis, aujourd’hui réconciliés autour de ce livre ambitieux et puissant. Au départ, un étonnement : pourquoi le philosophe se fait-il romancier ? « Parce que j’étais las de ma voix, fatigué de mon propre dogmatisme. J’ai eu envie d’inventer des formes, de diaboliser »… Et cela donne, d’entrée de jeu, des pages stupéfiantes de vérité où la jeune Mathilde tient son journal et y raconte la naissance de Benjamin. On est en 1942, et la guerre, sans qu’il s’en doute, va bouleverser sa vie d’enfant choyé. À la Libération, son père sera exécuté pour collaboration, tandis que « l’oncle Jean », l’ami de la famille, a déjà pris sa place. En vain, chacun essaie d’oublier, voire d’ignorer… Après la mort de Mathilde, c’est Jean qu’on entend. Jean passera le relais à Marie et Marie à Alain Paradis, avant que Benjamin lui-même ne reconstitue toutes les pièces du puzzle. Ou presque… Construction originale et implacable, qui déroule le fil de ces quarante dernières années où le monde s’est déchiré pour tant changer. Benjamin C. en est l’acteur et le témoin, sombre héros poursuivi par les forces du mal que deux femmes tenteront en vain d’aider et de sauver. Lucides et tendres, c’est à travers elles que tout s’éclaire. Rien d’autobiographique dans ce roman. Rien de manichéen non plus : le bien et le mal sont ici laissés à l’interprétation, à la sensibilité du lecteur qui démêlera seul l’écheveau subtilement tissé entre ces cinq voix successives. Roman sur l’ambiguïté de la nature humaine, sur le mensonge, la duplicité, le malentendu ; roman d’action aussi, où on passe d’un monde à l’autre à travers tous les moments chauds du dernier demi-siècle. Quel style enfin : élégant, lumineux, maîtrisé et toujours différent. Entrepris il y a quatre ans, BHL a énormément travaillé à ce roman, en quête d’une forme originale. Il a lu Faulkner, Hemingway et Dos Passos, il s’est repu de Sartre, admire Cervantès, Musil ou Malraux mais il nous faire entendre une voix qui ne ressemble à aucune autre et nous atteint parfois au plus profond de notre cœur. « C’est celui de mes livres qui m’a valu le plus de peine et de nuits blanches, c’est aussi celui qui m’a donné le plus de bonheur. » Un bonheur partagé, et de façon rare, exceptionnelle.


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