Il y a quelque chose d’insupportable à être suspendu, comme ça, nuit et jour, jour et nuit, au bon vouloir du Hamas. On patiente. On attend. On tolère d’entendre que les « critères de sélection » n’ont pas été remplis et que c’est la raison pour laquelle l’échange prend du retard. On consent, comme à l’époque des conseils juifs forcés d’accepter, dans les ghettos, de préparer des listes pour les nazis, de négocier, jour après jour, les termes de l’échange. Encore un peu et, tout à la juste volonté de sauver le maximum de vies, on dirait merci à ces marchands de viande humaine (tu m’en donnes 30, je t’en livre 10 et les Thaïlandais c’est du bonus…) qui, quand la caméra est là, jouent les humanistes rassurant la vieille dame ou l’enfant libérés. Et on en oublierait presque l’imprescriptible pogrom du 7 octobre. Joie, alors, pour chaque vie sauvée. Soulagement infini. Mais tristesse aussi. Amertume. Sentiment d’un piège affreux. Et colère.

Ceux qui ont accusé et qui, demain, accuseront encore Israël de bombardements « disproportionnés », les Premiers ministres belge et espagnol, par exemple, qui se sont rués à Rafah, juste avant le passage des premiers otages, pour tenir conférence de presse et répéter tout le mal qu’ils pensaient de la façon qu’a Tsahal de détruire les tunnels creusés sous les hôpitaux par le Hamas, oublient juste de nous dire ce qu’ils feraient à sa place. Un mort vaut un mort, je le répète pour la énième fois. Et chaque mort est un scandale qu’il faut tout faire, tout, pour empêcher. Mais, sérieusement, messieurs les donneurs de leçons : comment fait-on ? que feriez-vous ? avez-vous une idée, une seule, si Barcelone ou Bruxelles étaient la cible d’une attaque lancée, depuis votre frontière, par de nouveaux émules du Viva la muerte, pour parvenir à la juste « proportion » ? L’on n’a, à cette heure, entendu formuler aucune stratégie, tactique, alternative.

Bizarre ces commentateurs qui, pendant que les Palestiniens enterrent les morts qu’a cyniquement sacrifiés le Hamas, pendant que les Israéliens accueillent les otages qui leur sont lâchés au compte-gouttes, bizarre ces cœurs de pierre qui, face à la chaîne de conséquences qu’est encore en train de dérouler, en Palestine et en Israël, une attaque terroriste sans précédent, n’ont qu’un mot à la bouche : la « solution politique » permettant de sortir du « conflit ». Il reviendra, le temps de la politique. Il faudra que les peuples se reparlent. Mais pas comme ça. Pas cette indécente façon de faire les malins sur le jour d’après en enjambant le crime, les morts et ce qui reste d’espérance chez ceux qui ne savent pas encore s’ils sont, aujourd’hui, du côté des morts ou des vivants. Pas au moment où l’urgence est de libérer Israël, la Palestine, la région, d’un parti-État néonazi qui a pris tout le monde en otage. Sans parler du cas Villepin, le plus navrant, sur lequel il faudra peut-être revenir…

Cet Insoumis qui, au micro d’Europe 1, a tant de mal à faire que le mot « féminicide » franchisse ses lèvres. Les femmes violées avant d’être tuées ? Les corps souillés, éventrés, puis les scènes de liesse autour de leur dépouille ? Il pérore. Il disserte. Il ressert son éternel couplet sur le « deux poids, deux mesures ». Il parle de lui, surtout de lui, et de l’injuste traitement infligé à son parti. À la fin, il consent. Du bout des lèvres, il concède. Oui, ces femmes… Ces viols, suivis de massacres, puisque son interlocutrice insiste et ne lâche rien… Mais ne pourrait-on parler, aussi, de La France insoumise, son parti… ? On ne sait, chez ce personnage, ce qui l’emporte de la veulerie, de l’ignominie ou, justement, du deux poids, deux mesures. Car on ne le répétera jamais assez : où étaient-ils, lui et les siens, pourquoi ne se sont-ils pas mobilisés, insurgés, insoumis, quand on bombardait Grozny, qu’on tuait comme on déboise à Kobané et que les morts civiles, en Syrie, se comptaient, non en milliers, mais en centaines de milliers ? Si, d’ailleurs. On a entendu M. Mélenchon, leur chef. Mais ce fut pour dire que Bachar « réglait le problème ».

Un dernier mot sur cette histoire de règlement politique qui obsède ces gens. Ça tombe bien. Elle m’obsède aussi. J’ai parrainé le plan de Genève. Défendu le plan Barak-Clinton. Je me souviens d’Ehoud Olmert la veille du jour où il allait proposer à Mahmoud Abbas sa propre version détaillée, travaillée, et fondée sur des échanges de territoires, de la solution à deux États. Il y a même eu un (très mauvais) plan Trump-Netanyahou que tout le monde a oublié, mais pas moi, car j’ai caressé l’espoir, à l’époque, que le camp de la paix s’en empare, le prenne au mot, le retourne. Et Sharon lui-même… Je ne cesse de penser à Ariel Sharon rêvant, devant moi, un soir de février 2005, dans son bureau de Jérusalem, d’un Gaza devenant, après que le dernier soldat de Tsahal l’aurait quitté, le prototype et le laboratoire de l’État palestinien. Entre eux et moi, entre ces ouvriers de la onzième heure et l’homme de bonne volonté que je m’efforce d’être depuis cinquante ans, il y a une nuance. Mais elle est de taille. Il y a un moment, un seul, où le sujet n’est pas à l’ordre du jour. Et ce moment c’est aujourd’hui. Pourquoi ? Parce que ressusciter, à cet instant, cet État palestinien qu’ils avaient tous consciencieusement enterré ce serait dire, urbi et orbi, que le terrorisme paie et que les assassins du Hamas sont des faiseurs d’État. Le pire.


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