Dans Le Lys et la Cendre, Bernard-Henri Lévy est à son affaire, car son affaire ce n’est pas la philosophie, ni le roman ni l’histoire, ni même la politique ; c’est l’instant. Ce que Lévy aime, ce n’est pas ce qui s’est passé, ni ce qui se passera, ni ce qui se passerait, mais ce qui se passe. Le meilleur Lévy est celui du Lys et la Cendre, comme le meilleur Hugo est celui des Choses vues. Lévy c’est d’ailleurs un peu notre Hugo : la Nouvelle Philosophie lui a tenu lieu de bataille d’Hernani et il est en exil à Tanger. Papa généreux, maman adorable et frère à problèmes. Il a sa Juliette Drouet, beaucoup plus sexy que l’autre. Comme Hugo, il a des rentes et s’habille toujours pareil. C’est un très grand reporter. En quelques phrases, il démonte une personne, montre un réseau, décrit une manipulation. Il a un son parfait car il n’arrange rien, même s’il orchestre un peu. On entend 5 sur 5 Sollers lui confier : « Tu es bon en attaque aérienne, attention à ne pas t’enliser dans les combats d’infanterie… » Ou Peter Handke lui dire : « Le retard donne le temps, je te remercie d’être en retard. » Nathalie Sarraute nous a expliqué que le meilleur écrivain est le meilleur ingénieux du son mais nous le savions depuis Gogol et son Panko le Rouge.

Le Lys et la Cendre est un journal de guerre, on pourrait même dire d’occupation. On voit Lévy se dévouer, de 1992 à 1995, à une puissance étrangère : la Bosnie de M. Izetbegovic. Dans cette collaboration, il entraîne avec lui toute une génération d’intellectuels quinquagénaires désœuvrés. La chair est chère et ils ont bouquiné tous les livres. On alerte les médias, on dérange le président, on prend les avions du Glam. Tout cela est décrit par Lévy avec une précision ironique et une sombre distance qui nous rappellent le Journal de Drieu la Rochelle, sa part obscure, à moins évidemment que ce ne soit l’inverse. Ce que BHL aime dans la vie, comme Drieu, ce sont les grandes blondes et les grands hôtels. Bernard est un fasciné de littérature. Il entre dans la politique sur la pointe de ses mocassins. Il se demande toujours un peu pourquoi il fait ça, à quoi ça va servir, s’il n’est pas en train de se tromper, s’il ne serait pas mieux à sa table de travail.

Le Lys et la Cendre est un grand livre qui traite d’un grand sujet : l’hésitation. Lévy y montre son trouble, sa vacance, son doute. Lui qui parlait trop bien consent enfin à bégayer. C’est du reste après Le Lys et la Cendre qu’il a commencé à avoir des tics faciaux. N’attendons pas sa mort, c’est-à-dire le jour où nous ne serons plus jaloux de lui, pour admettre son génie. Il est malheureusement évident.


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