Oui, bien sûr, ce qui se passe au Sud-Liban est proprement atroce.
Je suis épouvanté par l’ampleur de l’offensive lancée par Israël contre les bases de l’O.L.P.
Personne, je dis bien personne, ne peut rester insensible au drame de ces populations civiles que la guerre, comme toutes les guerres, a frappées par ricochet.
Et quant au fond même de l’affaire, j’ai assez souvent dit, je pense, ma conviction que l’on ne parviendrait pas à un accord durable au Proche-Orient sans que, d’une manière ou d’une autre, justice soit rendue à la revendication nationale palestinienne, pour ne pas m’inquiéter, moi aussi, d’une démarche dont le moins qu’on puisse dire est qu’elle ne va guère dans le bon sens.
Reste que je ne suis pas satisfait non plus, et pour autant, de la forme dans laquelle, ici et là, on a réagi à l’événement. Et qu’il y a dans cette « forme », c’est-à- dire dans le ton, le style des discours auxquels il a donné lieu en France, quelque chose qui me trouble, m’étonne et, parfois, m’a affligé.
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Ainsi, par exemple, de la manière parfaitement biaisée dont on a présenté presque partout les buts, les raisons, l’enjeu de l’opération.
Fallait-il tenir pour rien les 25 000 tonnes d’armes et de matériel lourd accumulés au fil des mois dans ce que l’O.L.P elle-même ne baptisait plus que le « fatahland » ?
Cet extraordinaire arsenal de chars, de D.C.A., de missiles ou de canons à longue portée braqués en permanence sur les villes et les kibboutz du nord de la Galilée ?
Ces centaines de millions de dollars, d’origine arabe ou soviétique, venant renforcer, année après année, l’impressionnant bunker que devenaient peu à peu les terres du Sud-Liban ?
Je ne crois pas qu’il y ait beaucoup d’Etats qui accepteraient de vivre très longtemps sous la menace d’une armée de ce genre dont la charte, de surcroît, programmerait textuellement de les rayer de la surface du globe.
J’imagine mal un gouvernement français tolérant sans réagir de voir les habitants de Strasbourg, de Metz ou de Mulhouse, contraints de passer la moitié de leur vie derrière des barbelés ou terrés au fond de leurs caves.
Et ce qui me paraît sûr, en tout cas, c’est que, quel que soit le jugement que l’on porte sur la stratégie de Jérusalem, on n’a pas le droit de faire comme si des hordes de barbares avaient pilonné pour le plaisir un petit peuple de gueux, délicieusement déshérités et qui n’auraient eu, pour se défendre, que la ressource de leurs mains nues…
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Mieux, je ne pense pas qu’on ait le droit non plus de faire totalement l’impasse sur le contexte politique réel où tout cela s’est déployé.
Était-il sérieux, par exemple, d’évoquer toute cette affaire sans garder présent à l’esprit que le pays où Israël est entré était un pays occupé, d’ores et déjà envahi, et dont une autre armée, celle de la Syrie, avait depuis longtemps liquidé la souveraineté ?
Était-il honnête, vraiment, de faire semblant d’ignorer comment cette occupation-ci, enracinée dans le rêve séculaire d’une « grande Syrie » impériale étendue jusqu’à Beyrouth, était en train, elle, directement et sans façon, de préparer l’annexion et le démembrement du pays ?
Peut-on, doit-on, devant l’insoutenable spectacle des milliers de morts d’aujourd’hui, faire silence, tout à coup, sur ces milliers d’autres Palestiniens qu’Assad en juin 1976, comme Hussein en septembre 1970, assassinait froidement ? Sur les 400000 morts ou blessés de tous bords et de toutes confessions par quoi se sont soldées les six années d’ordre baasiste ? Sur ces millions de chrétiens, surtout, que les dirigeants de Damas avaient, nous le savons, promis à ce qu’il faut bien appeler une persécution, une disparition ou un exil systématique ?
Comparaison, bien sûr, n’est pas raison. Et je ne suis toujours pas en train de justifier ceci au nom de cela. Mais je dis, simplement, qu’il est difficile d’ignorer que c’est de là et de là seulement que venait la vraie menace contre la liberté, l’intégrité libanaises. Mais j’affirme, plus simplement encore, qu’il n’est pas possible de ne pas se demander pourquoi la moitié au moins du pays est en train d’accueillir l’armée d’Israël comme une armée de libération. Mais je répète, si l’on préfère encore, que, en dépit de toutes les réserves que peuvent par ailleurs inspirer la politique ou la personne de Menahem Begin, on ne peut pas dire ni écrire, quant au cours réel de l’histoire, tout à fait n’importe quoi.
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Ou, plus exactement, je crois que l’on n’aurait pas dit ni écrit n’importe quoi si, au légitime effroi suscité par l’horreur de la guerre, ne s’étaient mêlées d’autres raisons, plus secrètes, moins avouables.
Qu’ils ne sont pas exempts d’arrière-pensées, par exemple, les singuliers commentateurs qui, frappés d’on ne sait quelle incontinence verbale, ont aussitôt dénoncé — sic — le « génocide », l’« holocauste », l’« extermination » d’un « peuple tout entier ».
Qu’ils étaient à mille lieues, en fait, du calvaire réel enduré par le Liban réel, ceux qui, plus précisément encore, se sont complu à disserter sur le subtil « retournement » qui serait en train, sous nos yeux, de transformer les rescapés d’Auschwitz en « assassins » et en « bourreaux ».
Assassins ? Bourreaux ? Savent-ils bien ce qu’ils disent, les intellectuels qui comparent froidement Begin à Hitler et à Goebbels ? Sait-on le sens, le poids, l’extrême gravité des mots quand on insinue que les juifs seraient insensiblement devenus les « nazis » du monde arabe ? Voit-on les ombres qu’on réveille quand on va jusqu’à avertir ce peuple « arrogant » et « dominateur » qu’il ne saurait indéfiniment « tirer des traites » sur un martyre ancien et, fort desdites traites, liquider impunément un nouveau peuple de martyrs ? Ces ombres, j’en ai bien peur, n’ont plus grand-chose de commun avec les Palestiniens de chair et d’os. La partie qui se joue là n’a plus grand-chose à voir, non plus, avec le théâtre de Beyrouth. Et il ne me semble pas me tromper énormément en affirmant que c’est du côté de nos bons vieux psychodrames nationaux qu’on est plutôt, et insensiblement, reconduits.
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Concrètement, et pour aller très vite, je me demande si cette guerre du Sud-Liban n’est pas venue à point nommé pour aider à la cristallisation d’un certain nombre d’images et de fantasmes qui flottaient dans les zones les plus troubles de l’inconscient politique français.
Si, au-delà de l’émotion réelle qu’elle a bien entendu suscitée, elle n’a pas fait le bonheur de tous ceux qui, à gauche comme à droite, brûlaient d’en finir avec ce monopole de la souffrance que « les juifs », à leurs yeux, tiendraient à s’arroger.
Si la passion, le délire, l’aveuglement qu’on a vus s’expliquent autrement que par la sourde volonté de chasser une bonne fois le spectre d’un passé dont le rappel ne servirait plus, dit-on, qu’à légitimer les massacres, les carnages du présent.
Non pas, je le répète une fois de plus, que toutes les critiques adressées à Israël depuis huit jours relèvent de cette logique.
Je ne suis pas non plus de ceux, je le précise à tout hasard, qui assimilent toujours et nécessairement antisionisme et antisémitisme.
Mais ce qui me paraît certain, en revanche, c’est que si l’antisémitisme, justement, devait un jour revenir en France, ce serait dans cette langue. Sous ces traits. Faisant du « juif » un portrait de ce type. Et y voyant le parangon du « fascisme » exactement comme, il y a un siècle on en faisait le symbole du « capitalisme ».
N’est-ce pas assez, alors, pour justifier que l’on s’émeuve d’énoncés, de lapsus ou de proclamations étourdies qui, une fois les bombes tues et l’ordre rétabli dans les montagnes du Liban, pourraient bien, eux, nous en revenir comme notre plus obscure et tenace part d’héritage ?
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