FRANÇOISE BOULIANNE : Que pensez-vous du travail d’enquête mené par Bernard-Henri Lévy, qui s’est pour ainsi dire mis dans la peau de votre fils ?

RUTH PEARL : Mon mari et moi, nous l’avons rencontré, et nous avons été très impressionnés par son engagement et son intelligence. Nous lui avons donné toutes les informations en notre possession. Il a fait un travail magnifique, qui ravive bien sûr nos blessures mais qui contribuera à garder vivace l’héritage de notre fils.

Quinze mois après l’assassinat de notre fils, comment vous sentez-vous ?

Le temps n’y changera rien, Danny me manque à chaque instant. Chaque mère me comprendra.

Au soir de son enlèvement vous avez fait un cauchemar ?

J’ai vu Danny, hirsute, défait, au fond d’une impasse. Quand je lui ai demandé ce qui se passait, il m’a répondu, très effrayé : « Ils m’ont obligé à ingurgiter beaucoup d’eau. » Il avait l’air si mal, si pâle. Je me suis réveillée en sueur et je me suis précipitée sur mon e-mail. Je lui ai laissé ce message : « Danny, tout va bien ? S’il te plaît, réponds immédiatement ! » Il n’a jamais pu me répondre.

Avez-vous trouvé le courage de visionner la vidéo de l’exécution de votre fils ?

J’en serais morte. Non, on nous l’a racontée. Nous avons essayé de nous opposer à ce qu’elle soit diffusée à la télévision et à ce qu’elle circule sur le net. On nous a répondu que la montrer dissuaderait les gens d’aller vers l’islamisme. Mais c’est l’inverse qui se passe. Cette cassette est devenue un outil de recrutement et de propagande dans certaines mosquées fondamentalistes.

Vous vous êtes inquiétée de savoir pourquoi, après avoir découpé en dix morceaux, le corps de votre fils avait été recomposé pour être enterré ?

En tant que mère, la chose la plus dévastatrice est de voir son enfant souffrir, spécialement quand cette souffrance lui est intentionnellement infligée par d’autres. Tout acte d’humanité est alors une façon d’adoucir cette peine. Si l’un de ses geôliers a eu un geste de gentillesse pour mon fils, cela me console. Peut-être qu’à cet ultime instant, quelqu’un a voulu prendre soin de lui.

Quel souvenir gardez-vous de lui ?

Je chéris chaque instant de sa vie. Il me manque comme mentor, car il était sans doute plus intelligent que moi. J’ai l’ennui de sa voix chaleureuse qui me disait : « Salut, mam ! » J’ai l’ennui de ses taquineries, de ses bonds de joie lorsqu’il a appris qu’il a su que ce serait un fils. Il me manquera encore sur mon lit de mort.

C’était un séducteur, dit-on ?

Il était très humble, mais tout le monde, hommes et femmes, tombait sous son charme. Parce qu’il avait été un enfant aimé, mais aussi parce qu’il s’intéressait aux gens. Quand il regardait une femme qui lui plaisait, elle avait le sentiment d’être, à cet instant, ce qu’il y avait de plus important au monde.

Trois mois après le drame, Adam, le fils de Daniel, est né. C’est une source de réconfort pour vous ?

C’est une bénédiction. Il a la même personnalité que Daniel, il est calme et c’est un enfant très heureux. Malheureusement, je ne peux pas le voir aussi souvent que je le voudrais. Je dois éviter l’avion pour des raisons médicales.

Sa mère, Mariane, que BHL décrit comme une Antigone moderne, mène un combat pour que la colère et la haine ne sortent pas vainqueurs, pour que le dialogue entre l’Occident et l’Orient, même fondamentaliste, ne soit pas rompu. Vous aussi ?

La mission de la fondation que nous avons créée est de stopper la tyrannie de la haine avec les mots et la musique, puisque Daniel Pearl était très musicien. Hitler a condamné tout un groupe ethnique. Il ne faut pas que l’histoire se répète. L’éducation et la communication sont des armes pour combattre cette haine, qui naît de l’ignorance. La presse, en particulier, doit être vigilante. On ne peut pas jeter de l’huile sur un feu autour duquel dansent des fous de dieu, et dire ensuite qu’on n’a pas fait exprès.

Daniel vous parlait-il de ses enquêtes ?

Il racontait certains épisodes factuels. Comme l’a écrit son patron du Wall Street Journal, il avait l’art de se mettre dans les souliers et même dans les chaussettes des gens sur lesquels il écrivait.

Omar Sheikh, qui a admis être responsable de l’enlèvement et de l’assassinat de votre fils, a été condamné à être pendu. Avez-vous suivi le procès ?

Oui, et nous espérons que la justice sera appliquée.


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