Il y a un miracle Zelensky.

Mais il y a peut-être, aussi, un miracle Biden.

On disait le 46e président des États-Unis à bout de souffle.

On le décrivait comme l’un des architectes de la funeste stratégie de leadership from behind de celui dont il fut le terne second, Barack Obama.

Il n’avait jamais émis la moindre réserve quand celui-ci, après avoir déclaré que l’usage d’armes chimiques par Damas serait une ligne rouge, renonça à frapper Bachar el-Assad qui avait, le 28 août 2013, bel et bien franchi la ligne.

Il était un chaud partisan de l’accord nucléaire avec l’Iran.

Au moment de la fuite de Kaboul et, avant cela, lors du retrait partiel, mais néanmoins honteux, des forces américaines du Kurdistan syrien, on l’avait vu faire du Trump sans Trump et badigeonner de progressisme ce que l’isolationnisme de l’America First a de plus rance.

Et, dans l’affaire ukrainienne elle-même, dans les semaines précédant l’invasion (quand il se conduisit en petit télégraphiste d’une vague agence de presse annonçant la catastrophe sans dire ni comment la conjurer ni si l’on comptait y répliquer) non moins que dans les semaines qui suivirent (quand son premier réflexe fut de proposer une exfiltration et que le jeune Churchill ukrainien lui répondit par le magnifique « j’ai besoin d’armes, président, pas d’un taxi »), la ligne générale restait la même et tout indiquait que l’empire, une fois de plus, reculait devant les cinq rois.

Que s’est-il alors passé ?

Quelle corde, en cet homme, a vibré quand, fin mars, en Pologne, au sortir d’une brève rencontre avec des réfugiés de Lviv, il interpella Vladimir Poutine, le qualifia de « boucher » et tonna que » pour l’amour de Dieu » cet homme ne devait pas « rester au pouvoir » ?

Et comment ce politicien que l’on pensait cynique, blindé contre ses propres émotions et ayant perdu jusqu’au souvenir de la grande ambition virgilienne qui a toujours été au cœur de l’exceptionnalisme américain, a-t-il pu retrouver les accents d’un Roosevelt pour prendre la tête du monde libre dans son soutien à l’Ukraine martyre et, bientôt, triomphante ?

Le fait est là.

Du jour au lendemain, ses usines d’armement sont redevenues les arsenaux de la démocratie attaquée.

Le total de l’aide militaire déjà fournie approche le montant record – jamais vu, en si peu de temps, dans aucun conflit – de 20 milliards de dollars.

Les États-Unis – comme, du reste, la France – ne se sont laissé intimider par aucun des chantages, nucléaire ou autre, qu’ont tenté d’exercer le maître du Kremlin et ses mages.

L’Amérique est revenue.

C’est elle, non le Kremlin, qui, selon l’expression convenue au café du commerce, veut « aller jusqu’au bout ».

Et, à l’heure, ce lundi matin, où Kyiv est de nouveau bombardée, outragée, martyrisée, elle semble sérieusement envisager la désignation de la Russie comme État terroriste.

Supposons que cet état d’esprit perdure.

Supposons que le président Biden ne tombe, même après les midterms, dans aucun des pièges que ne manquera pas de lui tendre l’adversaire proposant des « négociations » dont le seul but sera de se refaire et de souffler.

Supposons qu’il réapprenne, contrairement à son prédécesseur, à compter jusqu’à deux ; qu’il se souvienne que l’Amérique a les moyens d’avoir plusieurs ennemis, fussent-ils redoutables, à la fois ; et supposons que, se rappelant le principe de Machiavel (la meilleure façon de vaincre ces ennemis est de les traiter, non un à un, comme pensait Tite-Live dans son récit du combat des Horaces et des Curiaces, mais simultanément) supposons, oui, qu’il comprenne qu’il n’affrontera jamais mieux la Russie qu’en tenant tête à la Chine.

Espérons que ses propos récents sur la menace que représente le nucléaire pakistanais, ce trou noir des alliances américaines depuis le meurtre de Daniel Pearl au moins, soient des propos sérieux.

Espérons que ses mots de samedi sur le courage des « femmes d’Iran » qui l’ont « sidéré » et ont « éveillé », dans leur pays, « quelque chose » qui « ne se taira pas » avant longtemps soient plus que des mots, et supposons qu’il en finisse une bonne fois avec cette discussion sur le nucléaire iranien qui ne servira jamais qu’à vendre à un État voyou, non la corde pour nous pendre, mais la bombe pour nous vitrifier.

Et prions pour que, sur ce point comme sur d’autres, il continue de résister au fort courant woke qui, aux franges de son propre parti, fait dire que le voile est un vêtement comme un autre et que seul un indécrottable néo-impérialiste peut exiger de se mêler des affaires intérieures d’une clique de mollahs corrompus et incrédules tirant à vue sur des femmes dont le seul crime est de montrer leur visage.

Joe Biden aura conjuré, alors, tous les pièges de Thucydide.

Il sera, dans la guerre médique mondiale qui s’annonce, Thémistocle et Miltiade le Jeune, vainqueurs de Salamine et de Marathon, plutôt que Démarate, Aristide ou Eurybiade, les défaitistes de l’époque.

Il aura forcé le destin, renoué avec le meilleur de la destinée manifeste de son pays et, par un de ces retournements de l’Histoire qui sculptent les hommes d’exception, il sera devenu un grand président américain.


Autres contenus sur ces thèmes