Quand le sage montre la lune, l’imbécile regarde le doigt.

Rarement l’adage chinois m’aura paru si lumineusement vrai qu’aujourd’hui.

Car tout le monde n’a d’yeux, n’est-ce pas, que pour les derniers rebondissements du feuilleton Bettencourt.

La classe politique se rue, comme un seul homme, sur l’affaire des cigares de M. Blanc ou des doubles casquettes de M. Woerth.

Or il y a un événement qui, pendant ce temps, passe complètement inaperçu : il y a un événement énorme, colossal – un de ces événements qui, à terme, peuvent redessiner la carte de la planète et que ce théâtre d’ombres dissimule, pourtant, aux regards.

Cet événement majeur et absent des principaux radars, ce retournement géopolitique qui n’a pas bénéficié du millième de la couverture médiatique dévolue aux mauvais sondages de Sarkozy, c’est la décision, prise par les Émirats arabes unis, de contrôler les navires parvenant dans leurs eaux territoriales et liés, plus ou moins directement, à l’Iran ou au commerce avec l’Iran ; de fermer 41 comptes bancaires appartenant à des entités iraniennes et pouvant servir d’écran à des opérations de contrebande bénéficiant au programme nucléaire de Téhéran ; de se ranger, en d’autres termes, dans le camp de ceux qui appliquent à la lettre la nouvelle résolution des Nations unies, prise le 9 juin, et prévoyant d’intensifier encore les sanctions contre l’Iran.

Cet événement vient quelques jours après les déclarations faites à Abou Dhabi, en clôture de l’assemblée annuelle de la Global Initiative to Combat Nuclear Terrorism, par Hamad al-Kaabi, représentant permanent des Émirats auprès de l’Agence internationale de l’énergie atomique : ce sont plusieurs dizaines de navires contenant des matières sensibles que la police émirienne aurait, ces dernières semaines, déjà arraisonnés.

Il vient après l’article de Georges Malbrunot, paru dans Le Figaro du 26 juin, et montrant comment le caractère rocambolesque des circonstances ayant présidé, en janvier, à l’assassinat par le Mossad, à Dubai, de Mahmoud al-Mabhouh, a peut-être été un autre leurre, un autre arbre cachant une autre forêt et une autre version de l’apologue du sage, de l’imbécile et de la lune : les Émirats, pendant ce temps, travaillaient étroitement avec Israël pour sécuriser leurs frontières, protéger leurs puits de pétrole et parer à d’éventuelles opérations de déstabilisation iraniennes !

Il fait suite, encore, à une autre information parue, celle-là, dans le Times de Londres du 13 juin et démentie depuis, mais mollement, par Riyad : l’Arabie saoudite aurait – sans que l’on en sache davantage, mais sans que l’on puisse ne pas songer à l’hypothèse d’une attaque surprise de Tsahal contre les sites nucléaires d’Ahmadinejad – décidé d’ouvrir son espace aérien aux avions israéliens.

Alors, il s’agit d’un événement majeur pour au moins trois raisons.

D’abord parce qu’il rappelle à ceux qui s’obstinent à ne pas le voir que l’islam n’est pas un bloc : islam de paix contre islam de guerre ; islam modéré contre islam fanatique ; et bien sûr, en la circonstance, islam sunnite contre chiite – ou contre, plus exactement, cette hérésie du chiisme qu’est l’islam apocalyptique des fous et des gangsters qui ont, il y a un an, volé leur vote aux Iraniens.

Ensuite parce qu’il démontre que le front du refus contre le régime iranien et ses projets de guerre totale est en train de s’élargir et de prendre forme et consistance : qu’il n’y ait pas grand-chose de commun entre la démocratie israélienne et l’autocratie saoudienne, c’est évident ; que rien, aucun geste politique ni géopolitique, aucun grand rapprochement avec qui que ce soit, ne puisse faire oublier, par exemple, les violations massives des droits de l’homme, et de la femme, à Riyad, c’est indéniable ; n’empêche que la perspective de voir l’Iran se doter d’armes de destruction massive représente une menace sans commune mesure avec quelque violation des droits de l’homme que ce soit et savoir qu’un nombre grandissant de pays est en train, dans la région, d’en prendre conscience est, en soi, une grande nouvelle.

Et puis j’ajoute enfin que, pour en revenir au cas des 41 comptes bancaires pointés par la résolution des Nations unies et gelés, il faut savoir :

1. Que le port de Dubai était, de l’aveu même de l’ambassadeur al-Kaabi, en train de devenir la plaque tournante des pires trafics nucléaires ;

2. Que les Émirats sont, au-delà même du nucléaire, la troisième destination, après la Chine et l’Irak, des exportations iraniennes, qui ont triplé depuis quatre ans ; et

3. Que, sur les 41 comptes visés, près de la moitié appartenaient soit à la République islamique elle-même, soit au corps des Gardiens de la révolution.

Autant dire que la décision émirienne est un vrai coup porté au régime.

Mieux : c’est une opération vérité destinée aux gogos qui croyaient à l’alliance contre nature, sous prétexte d’« union sacrée » contre l’« ennemi sioniste », de tous les musulmans de la région.

Et le fait qu’un pays arabe ait, pour la première fois, franchi le pas, le fait qu’il ait dit non à la tentative de hold-up iranien et ait ainsi déjoué la manœuvre dont le Hamas et le Hezbollah étaient les pièces avancées mais dont le but ultime était l’embrasement de la région, est un geste de survie en même temps qu’une preuve de maturité et le signe d’une clarification bien venue.

Rien, si la décision est tenue, ne sera plus comme avant. Et, pour Ahmadinejad, le compte à rebours aura commencé.


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