Sur ce point je suis comme vous. Moi aussi, parfois, je trouve Bernard-Henri Lévy un peu, comment dire ?, too much, mais aussi, comme vous, je déteste l’idée que sur lui – comme sur quiconque, d’ailleurs –, avec cruauté, sans mesure, l’on semble s’acharner. Et à ce propos je suis très choqué par un livre sur BHL qui vient de sortir, un livre qui ne lui passe rien – ni ses contradictions, ni ses drogues, ni même ses chemises –, un livre brutal de chez Grasset, qui s’appelle Comédie et qui est signé d’un auteur nouveau, un certain BHL.

Bon, j’arrête de faire le jacques, et puis vous voyez très bien de quoi je parle, notre ami Josselin a recensé l’ouvrage dans L’Obs de la semaine dernière. Seulement, si ça ne vous dérange pas, je voudrais y revenir d’un mot, parce qu’il me semble quand même qu’il représente une des expérimentations littéro-médiatiques les plus hallucinantes de la rentrée. On connaît l’histoire. L’histoire donc, c’est que BHL, anéanti par l’échec de son film, écœuré par le guignol absurde qu’il lui semblait être devenu, s’est retiré à Tanger pour écrire ce qui devait être un plaidoyer, une mise à nu, et qu’il a ripé finalement vers ce qu’on pourrait appeler une mise à Nous (à Nous intégral, naturellement), c’est-à-dire le procès de BHL par BHL, le duel de Bernard versus Henri, le premier meurtre à coups de schizo, en somme, de l’histoire médiatique.

Entendons-nous. Il est clair que le procédé, qui est assez neuf, n’est pas encore tout à fait au point. Par exemple, on peut tout à fait rassurer ses anciens fans : BHL cherche à liquider BHL, mais souvent, sous L., si je puis dire, BH perce toujours. Par exemple, il est sûr que décider, pour montrer à quel point on n’est plus un poseur, de se retirer à Tanger, en écrivant d’ailleurs dès la première page : « Alors Tanger. Retour et repli sur Tanger », ça revient un peu, quand même, à fêter au Ricard son entrée aux Alcooliques anonymes. Mais bon, se refait-on jamais ? Voyez aussi cette manie un peu exaspérante de parler de tous les gens qu’il connait en ne les citant que sous leurs initiales. Parler de sa femme en disant A., par exemple, c’est absurde, d’autant que tout le monde a bien vu dans Paris-Match qu’il s’agissait d’Arielle D. Certes. Par ailleurs je vous dis que BHL a décidé de faire un procès sans complaisance de BHL, mais enfin il faut être clair, comme procureur, ça n’est quand même pas Torquemada non plus.

A propos de l’échec, cruel et douloureux, sans doute, du Jour et la Nuit, je note que BHL II (le nouveau) revient entre les lignes sur l’acharnement terrible de la critique dont il pense que l’œuvre de BHL I (celui avec les chemises) a été victime, mais par un hasard de procédure que j’explique mal, il oublie de citer les 12 800 couvertures de magazine qui en ont fait la promotion. Une erreur du greffe de son tribunal, sans doute. Sur qui compter de nos jours ? Et puis enfin, je vois bien que, dans son principe même, l’idée de vouloir sortir de cette ignoble tyrannie de l’image – qu’on a d’ailleurs créée soi-même – en se refaisant du coup l’image du type qui n’aime pas son image, ça a un côté tautologique, un côté Vache qui rit dans la Vache qui rit, etc., si j’ose écrire sans fâcher personne, qui est un peu désolant. Mais bon, tout le monde a relevé ce problème, et il est un peu vain : il faut voir les choses en face dans ce bas monde du spectacle, quand vous ne pouvez plus supporter l’idée de passer à la télé, où voulez-vous en parler, sinon à la télé ?

Et puis que voulez-vous que je vous dise, moi, j’ai adoré ce livre. Je ne dis pas, parfois c’est difficile à suivre : par exemple, à un moment, pour exprimer le dédoublement de sa personnalité complexe, BHL engage un dialogue avec un autre BHL (le régisseur, celui qui s’occupe du cinéma), devant un chœur de BHL (les « moi profonds ») eux-mêmes interpellés par un dernier BHL (il s’appelle le « moi-film », ça doit être un ami du régisseur, j’ai mal suivi). A lire, déjà c’est coton. A visualiser, ça tient un peu du cauchemar. Déjà face à un BHL seul, les jours de grande forme, on a parfois le sentiment d’assister à un happening surréaliste, mais avec douze – et douze qui s’engueulent entre eux, encore ! –, on est carrément dans X-Files, c’est Avoriaz rue des Saints-Pères, bravo pour les clones à Saint-Germain ! Mais bon, à la longue on s’y fait, et on trouve ça épatant. Déjà, je le dis sans ironie, j’adore l’idée qu’un type à qui on reproche si souvent son égocentrisme riposte en revenant à la charge non seulement avec un, mais avec douze moi en bataillon. Et puis aussi, pour tout le monde, c’est commode. Voyez moi, par exemple, eh bien, enfin, quand je sortirai en ville, ça me donnera une position claire à prendre dans l’inévitable débat d’après sushi (à chacun ses sushis, notez) sur le maitre du je de chez Grasset. Je vous la donne comme je la sens : BHL, c’est sûr, est absurde ; en revanche BHL est formidable ; quant à BHL, là, je vous avoue que j’hésite : moi et moi, on en parle souvent, mais on a du mal à se faire une idée.


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