Qui a tué Daniel Pearl ? est une magnifique enquête journalistique, précise, captivante, où règne la règle d’acier : « les faits, rien que les faits ». Elle poigne le cœur, inquiète, incite à la méditation. Mais, et Bernard-Henri Lévy (qui est également un chroniqueur du Point) le signale dès l’avant-propos, elle fait aussi, « quand le réel se dérobait », appel à l’imaginaire. Et l’auteur s’y met en scène jusqu’à entrer dans la peau de Pearl. Il ne cache aucune de ses hésitations et de ses peurs. Ce qui l’amène à forger pour définir son livre le terme de « romanquête ». Mot parfaitement juste, tant il est vrai que capter le réel dans sa diversité, dans le charroi des événements, donner corps et système à des actes aux motivations énigmatiques, rendre compte, en somme, est une entreprise complexe qui relève du roman, de l’enquête et de la quête tout court, quête du monde, et de soi aussi, loin des idées générales et des professions de foi, ces dangereux étais.

Délicate balance, qui pose une fois encore la vieille question des relations entre journalisme et roman. Le premier est – voyez Balzac ! – classiquement honni, le second est porté au pinacle parce que supposé atteindre la vérité ultime des êtres et des choses, via, par exemple, le « mentir vrai ». Tâcherons du réel vérifié d’un côté, princes-voyants de l’autre, on perçoit la difficulté !

Elle n’a pas empêché, au contraire, que se créent des passerelles, que les plus grands romanciers, et Balzac lui-même, s’illustrent dans le journalisme – songez au De sang-froid de Truman Capote. Elle n’a pas muselé non plus des journalistes qui ont cherché à refaçonner dans l’espace du roman les pièces dont ils avaient été témoins pour tenter d’en percer le secret. Où classez-vous, manie tellement française, Jack London, Blaise Cendrars, Albert Londres, Joseph Kessel, Lucien Bodard (a qui Bernard-Henri Lévy a si souvent rendu hommage), tant d’autres ? Et ces Américains, les Tom Wolfe, les Hunter Thompson, qui inventèrent le « nouveau journalisme », ce reportage détourné en fiction où le « je » est omniprésent, où les ranger ?

Au vrai, et loin des problèmes de genre, il n’est jamais question que de voir. D’oser se colleter avec la chair, le sang, les drames et le chaos. Et enfin de savoir choisir les mots et les rythmes, de s’abandonner à eux tout en les maîtrisant. Cela seul fait les grands reportages. Et les grands livres. À ce titre aussi, Qui a tué Daniel Pearl ? est un grand livre.


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