L’intervention de Bernard-Henri Lévy

L’usage, à Cannes, est de convier la presse après la projection des films, pas avant.

Si Thierry Frémaux a, dans le cas précis, choisi de faire exception à la règle, c’est, si j’ai bien compris, pour que je vous dise ceci.

Le Serment de Tobrouk est un film sur cette grande Première, cet événement absolument inédit, qu’est l’intervention militaire de la communauté internationale pour stopper un massacre.

C’est un film subjectif, naturellement.

C’est un documentaire à la première personne.

C’est un film que nous avons tissé avec notre mémoire longue (cette France libre dont on ne sait pas assez qu’elle est née, d’abord, certes, à Londres, mais ensuite, pour la seconde fois, dans les sables de Libye, lors de la victoire et du serment de Koufra en 1941) et proche (cette Bosnie dont nous sommes un certain nombre à porter la blessure, la brûlure dans le cœur et dans l’esprit).

Mais c’est un film qui, par-delà la subjectivité de ceux qui l’ont fait, par-delà les liens de fraternité qui se sont tissés entre ses acteurs français et libyens, développe aussi une idée.

C’est un film sur cette idée qu’un engagement personnel a encore aujourd’hui, plus que jamais, du sens ; qu’il peut peser sur le cours des choses et même le renverser ; qu’intellectuels, militants, humanitaires, femmes et hommes de conviction, ne sont pas condamnés aux protestations pieuses et à jouer les belles âmes face aux monstres froids que sont les Etats.

C’est un film qui montre comment la communauté internationale, quand l’Opinion le veut et quand elle s’en donne elle-même les moyens juridiques, militaires et moraux, peut remplir son obligation de protection des civils désarmés face aux dictatures.

C’est un film qui, en un mot, raconte la victoire d’une belle et grande idée, vieille comme le monde, mais jeune comme l’espoir, qui est l’idée de Fraternité.

Or, ce film, il se trouve que nous l’avons tourné, monté, et il se trouve qu’il vous est présenté, alors que se déroule, sous les yeux du monde de nouveau indifférent, une autre tragédie.

Il raconte comment on a sauvé Benghazi alors qu’il y a un nouveau Benghazi, qui s’appelle Homs, ou Alep, ou Houla, et qui agonise sans que rien soit fait pour stopper le bain de sang.

Et c’est un film qui, du coup, rend d’autant plus inexplicable, inique, révoltante l’inaction des Nations en Syrie.

Alors, ce film, vous le verrez tout à l’heure.

Vous le jugerez comme un film de cinéma dans un festival de cinéma.

Et nous aurons l’occasion, demain, ici même, d’en reparler.

Mais je voulais d’ores et déjà vous dire que, pendant toute la durée de sa fabrication, j’étais hanté par ces images que nous avions filmées de Benghazi sauvée par les avions français, puis de l’OTAN, qui restent au sol tandis qu’agonisent Homs ou Alep.

Je voulais vous dire que c’est pour cette raison, parce qu’ils en sont, au fond, les vrais et tragiques destinataires, que j’ai tenu à inviter à nos côtés cinq démocrates syriens, dont deux sortis clandestinement, exprès pour la circonstance, dans les toutes dernières heures, au péril de leur vie.

Et je voulais vous recommander de le voir, ce film, avec, si je puis dire, un regard à double foyer : regard sur une guerre gagnée, regard un drame en cours ; regard sur une victoire, regard sur une forfaiture ; remplacez ou, plutôt, doublez les images que vous verrez de Benghazi, Misrata, Tripoli par celles que vous avez vues de Homs, Alep ou Deraa ; et que les mêmes images, terribles ou d’espoir, vous évoquent à la fois la Libye et la Syrie.

Tel est mon vœu, pour ce film d’hier tourné vers demain. Mais mes amis libyens et syriens vous le diront mieux que moi, maintenant.

L’intervention de Mansour Sayf al-Nasr, membre du CNT libyen

Je salue nos frères syriens.

C’est à eux que pensent aujourd’hui, en Libye, tous ceux qui ont combattu contre la dictature, les armes à la main ou par d’autres moyens.

Nos frères syriens ont face à eux le même ennemi de son propre peuple, de ses droits, de sa liberté, depuis le même nombre interminable d’années. Un ennemi aussi impitoyable, aussi sanguinaire. Une tyrannie que seule la force des armes peut abattre, avec l’aide de tous les peuples.

Nous, Libyens, ne serions pas parvenus à nous libérer de Kadhafi seuls. C’était impossible. La communauté internationale, France en tête est venue à notre secours. Et, ensemble, nous avons gagné.

Il doit en être de même pour la guerre de libération en Syrie. Les résistants syriens ont le même besoin que nous d’un soutien militaire extérieur massif, contre une dictature beaucoup plus forte qu’eux. Sans l’aide extérieure, sans une vraie intervention, ils ne peuvent rien, et Assad, lui, peut tout. Chaque jour le montre.

Moi, Libyen, qui ai reçu l’aide de tant de pays, de tant d’amis, dont, ici-même Bernard et Gilles, je vois une chose qui me déplaît beaucoup. On se sert de la Libye, de l’intervention en Libye, pour dire qu’on ne peut pas intervenir en Syrie. On se sert de la Libye pour dire qu’on ne peut pas faire la même chose en Syrie. Par un retournement de grande mauvaise foi, on se sert de l’exemple libyen comme d’un contre-exemple à Homs. Kadhafi était faible, nous dit-on, Assad, lui, est trop fort. Personne ne le soutenait. Là, Les Russes et les Chinois, qui ont laissé faire en Libye, mettent leur veto.

Contre ce mauvais raisonnement, contre ce slogan : nous avons sauvé Benghazi, nous ne pouvons rien pour Homs, je voudrais rappeler une chose.

Au départ, Kadhafi apparaissait le plus fort, et nous, les rebelles, nous étions condamnés. Et personne ne croyait que les Russes et les Chinois l’abandonneraient. A tel point que le Président français, que j’ai rencontré, nous avait dit à nous Libyens : si on n’arrive pas à avoir l’abstention des Russes et des Chinois pour intervenir, la communauté internationale recourera au mandat de la Ligue arabe pour pouvoir sauver la Libye libre. On se passera de l’ONU. On n’ira pas devant l’ONU. Tant pis pour l’ONU.

Aujourd’hui, c’est le contraire : on se sert du veto russe et chinois pour dire : on ne peut pas intervenir. Quoi ? La Ligue arabe n’existe plus ? L’OTAN n’existe plus ?

Ce qu’on pouvait faire hier, se passer du feu vert des amis des dictateurs, on ne le peut pas le faire aujourd’hui ?

Arrêtez cette hypocrisie !

Il faut sauver Homs comme on a sauvé Benghazi. Merci.

L’appel de l’un des officiers syriens déserteurs présent à Cannes

Je suis un homme syrien. Je suis un soldat, un militaire.

J’ai déserté, et j’arrive de Damas hier. Je n’aime pas me cacher. Mais je vais retourner là-bas me battre. Le drapeau qui masque ma tête, c’est le drapeau de la liberté.

Je viens de voir le film de notre ami français sur mes frères libyens, sur leur guerre de libération, sur l’aide extraordinaire qu’ils ont reçue, sans laquelle ils seraient morts.

Je suis un militaire. J’ai pleuré. Mes larmes venaient de l’émotion, mais aussi de la colère. Nous, Syriens, nous sommes en train de mourir.

Nous pourrions vivre, nous pourrions gagner. Nos chebabs sont aussi courageux, aussi braves que ceux de Benghazi, que ceux de Tripoli. Le même film pourrait dire la même chose de nous. Mais non !

Où sont les avions français, les avions anglais ? Les avions des pays arabes frères, de notre grand voisin turc ? Où sont les armes qui venaient de partout aux combattants du désert libyen, les bateaux pour Misrata qui était encerclée tout comme nos villes sont encerclées, bombardées ?

Où êtes-vous, les millions d’amis de la liberté ? Vos gouvernements n’entendent-ils pas votre voix, n’entendent-ils pas vos appels ?

Pourquoi ont-ils peur d’Assad, eux qui n’ont pas eu peur de Kadhafi ? Pourquoi ont-ils peur de la Russie et de la Chine aujourd’hui, et pas hier ?

Pourquoi ? Pourquoi ? Nous pouvons gagner la guerre de la liberté. Avec vous.

Aidez-nous vraiment. S’il vous plaît. Merci la France.


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