On se souvient de ce 28 février et du visage d’un homme en particulier, J.D. Vance, assis dans le Bureau ovale de la Maison-Blanche, plein de cette morgue qui nous fait détester une certaine Amérique, expliquant à son hôte, Volodymyr Zelensky, que son pays, l’Ukraine, est en pleine débâcle et qu’il est vain de nourrir de trop grands espoirs.

« Êtes-vous déjà allé en Ukraine ? » lui a simplement répondu Zelensky, marqué par les nuits sans sommeil et les jours sans répit. Question balayée d’un revers de la main – au sens propre – par J.D. Vance, qui réclamait à cet instant un « merci » de la part des Ukrainiens.

À défaut de voir de ses propres yeux la réalité de la frontline, le vice-président américain pourrait visionner la série de films réalisés par Bernard-Henri Lévy. Il en existe trois, plus un quatrième, intitulé Notre guerre, réalisé avec Marc Roussel, présenté au Festival de Cannes.

Les résistants de 1940

En avant-première, nous avons pu le visionner et, face à la quantité d’images inédites et de témoignages rares, il est permis d’affirmer que l’écrivain-journaliste œuvre non seulement pour le présent, mais aussi pour la mémoire. Quand, un jour – et ce jour viendra –, il faudra documenter la vérité de cette guerre, les historiens devront s’emparer de cette quadrilogie rendue possible grâce à la confiance des autorités de Kiev envers le plus ukrainien des Français.

À ce titre, les images – non floutées – de Boutcha et de ces cadavres le long des routes, arborant des stigmates qui traduisent la volonté russe de perpétrer un massacre de masse, sont les preuves d’un « Oradour-sur-Glane » ukrainien. Le témoignage d’enfants déportés en Russie, qui ont retrouvé leur pays grâce à des « filières secrètes » et à des « Justes », servira également à l’écriture du passé.

Cette incroyable scène du Bureau ovale, BHL l’a suivie en direct sur son ordinateur, entouré de soldats ukrainiens, dans un atelier de réparation de matériel militaire de Pokrovsk, non loin des positions russes. Par son intensité, la séquence évoque l’image de ces résistants, les nôtres, ceux de 1940, penchés au-dessus d’un transistor, espérant la bonne nouvelle.

En l’occurrence, ce sera une déflagration pour ces soldats ukrainiens, sidérés par la charge de Donald Trump contre leur représentant. S’ils n’attendaient pas du nouveau président américain un soutien inconditionnel, ils n’imaginaient pas un tel degré de violence dans ses propos. Mais, par ses mots volontiers humiliants, Trump venait de fournir à ces hommes en kaki, exténués par des années de guerre, mieux que des armes, un surcroît de combativité.

« Peut-on tenir sans les Américains ? »

Quelques jours avant cette rencontre, l’écrivain eut droit à un entretien avec Zelensky dans son bureau du palais Mariinsky. Celui qu’il compare à Churchill ne se faisait guère d’illusions sur les intentions de la nouvelle administration de Washington.

« La société ukrainienne pense qu’il [Trump] penche vers la Russie. C’est peut-être faux, mais c’est l’impression qu’il donne. Les gens ont peur. Les soldats sont démoralisés. » Silence. Regard désolé. On devine à cet instant ce que Zelensky refoule d’amertume et de colère envers le président américain.

Il finit par poser la seule question qui vaille dans le contexte d’une avancée des troupes russes : « Peut-on tenir sans les Américains ? » En guise de réponse, il lève les épaules et ouvre les mains pour dire l’incertitude, sinon l’impuissance. « Tout dépend des lignes rouges, de ce que vous pouvez supporter et de ce que vous voulez voir cesser », poursuit-il.

Autre moment fort du film : l’entretien avec le général Oleksandr Syrsky. Il est l’incarnation même de l’idée que l’on se fait d’un chef : calme, attentionné et charismatique. Il fut commandant de l’armée du Donbass avant de devenir, en février 2024, général en chef des forces armées ukrainiennes.

BHL lui soumet cette question existentielle posée plus tôt par Zelensky : l’Ukraine peut-elle tenir sans les Américains ? « Aucun problème ! répond-il, sans hésiter. On a assez de munitions et de matériel. Et nos partenaires européens nous soutiendront. »

À travers la caméra de l’écrivain, c’est à la fois au monde et à ses troupes sur la ligne de front que le général s’adresse. Le moral ? « Excellent ! Et nous sommes prêts à protéger notre pays et nos concitoyens jusqu’à la fin. » Avec de tels propos, la phrase de Bonaparte – « Un chef est un marchand d’espérance » – prend tout son sens.

Une ode à la France

Le récit, entrecoupé de flash-back remontant jusqu’à 2023, révèle toutefois une forme de mélancolie qui gagne le terrain – ou est-ce une résignation ? –, invisible dans les précédents films. La fatigue physique, l’usure psychologique, les pertes stratégiques et, bien sûr, les pertes humaines pèsent sur le moral des hommes, même s’il suffit de peu pour regonfler les poitrines : un « Slava Oukraïni ! » lancé et, aussitôt, la ferveur reprend le dessus.

Il y a, en outre, dans ce film documentaire une forte dimension patriotique, évidemment pro-ukrainienne, qui charrie nombre de symboles nationaux, comme la référence à une statue du poète humaniste Taras Chevtchenko, restée debout malgré les bombardements, des plans sur des autels naïfs érigés à la gloire des soldats morts, l’image d’une enfant qui se réchauffe dans un drapeau bleu et jaune ou encore l’entretien avec une soldate poète que BHL promet de publier…

Mais ce film est aussi une ode à la France. Les ennemis de l’écrivain, qui vient d’être condamné à trente-trois ans de prison par un tribunal tunisien pour une pseudo-affaire de complot, sans d’ailleurs susciter la moindre réaction politique, devront remiser leurs critiques sur ce BHL qui préférerait le monde à son pays.

Dans les coulisses de l’Élysée

Ce film nous fait même dire qu’il n’y a pas plus français que lui. Il faut le voir monter dans un blindé et relever qu’il est de la marque Renault, parler d’Alain Delon avec des soldats tandis que des drones les survolent, rappeler, dès qu’il peut, le soutien de la France à l’Ukraine, mentionner l’importance des canons Caesar, accompagner la brigade Anne de Kyiv, formée et équipée par la France… « Un pays tient bon, et c’est le mien ! »

Loin des terrains boueux, on le retrouve dans les coulisses de l’Élysée pour une rencontre entre Emmanuel Macron et son homologue ukrainien. La caméra filme un échange improvisé. Macron, au sujet de la scène du Bureau ovale : « Cela a renforcé votre unité. » Zelensky : « Oui, cela nous a renforcés. La confiance que les Ukrainiens ont en la France et en vous personnellement, Emmanuel, s’est considérablement renforcée.

– L’esprit de résistance est très important pour nous, Français. Nous avons subi l’épreuve de l’occupation.

– Je suis d’accord Emmanuel, mais nous devons travailler sur l’opinion. L’opinion américaine. »

À Klichtchiïvka, un petit village situé sur la ligne de front, non loin de Bakhmout, se trouvent une position de tir baptisée Emmanuel Macron et une autre, Bernard-Henri Lévy. « Vous ne dites jamais merci », expliquait J.D. Vance au président Zelensky. « Qui devrait dire merci à qui ? » lui répond BHL, depuis une tranchée.


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