On a tué jeudi à Menton. On s’est mobilisé mardi dans toute la France. Au-delà de l’événement pourtant – et au-delà des réactions, rassurantes en un sens, qu’il a suscitées, – nous souhaitons rappeler les responsabilités de chacun dans cette affaire.

Oh ! Certes, nous ne croyons, pas plus ici qu’ailleurs, au redoutable mythe de la « culpabilité collective ». Mais nous sommes convaincus néanmoins qu’un crime raciste, quoi qu’on en dise, n’est jamais un phénomène parfaitement dément ni délirant ; qu’il s’ordonne à un air du temps, à un imaginaire commun de la société où il puise son assurance, sa légitimité, sa raison d’être ; et nous sommes convaincus, surtout, que cet air du temps se nourrit lui-même de toute une foule d’idées, de slogans ou de petites phrases dont nous sommes tous, peu ou prou, obscurément comptables et qui a vu, ces temps derniers, s’accélérer comme jamais sa folle sarabande.

Aussi tenons-nous à dire, calmement mais fermement :

– aux politiques, qu’on ne manie pas impunément des notions aussi explosives que celles de « quota », de « seuil de tolérance » ou d’infranchissable « écart » entre Français « de souche » et « immigrés » ; et que, des bulldozer de Vitry à la banalisation des thèses du Front national, le discours politique institué a bien souvent fonctionné comme un multiplicateur de haine, de bêtise et de pulsion de mort,

– aux intellectuels, qu’enfreindre les tabous, faire sauter les interdits ne peut être considéré comme le fin du fin de la liberté de l’esprit ; et qu’il n’est plus possible, par exemple, de se pâmer d’admiration devant le supposé talent de « supposés nouveaux Céline » dont nous pensons, personnellement, que la littérature mondiale aurait pu se passer sans grand dommage ;

– aux responsables des médias, enfin, qu’il ne suffit hélas, pas d’« ignorer » un Le Pen qui se chargera fort bien tout seul de se rappeler à leur souvenir ; mais qu’il faut encore isoler, marginaliser, ringardiser les idées qui le portent, avec notre assentiment muet, à la « une » de l’actualité et autour desquelles il est urgent de tracer un véritable cercle sacré.

Que les uns et les autres persévèrent dans leur légèreté présente, et ils récolteront, nous en avons bien peur, d’autres crimes de Menton. Qu’ils réagissent au contraire, qu’ils s’insurgent contre ce climat malsain, qu’ils s’avisent enfin de ce que le verbe, lui aussi, a le pouvoir de tuer, – et alors le magnifique sursaut de toute cette génération que nous avons vue mardi, dans les lycées, s’indigner de ce que l’on ait, pour de bon, « touché à son pote », n’aura pas été tout à fait vain.


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