Très colère, BHL… Au sortir de deux mois de confinement général, il se demande encore comment toute une population a pu accepter sans rechigner un enfermement tel qu’un pouvoir totalitaire n’aurait osé en rêver, avec laissez-passer, contrôles de police, rues désertes et couvre-feu. Il s’interroge sur ces mots d’ordre orwelliens qui se sont imposés comme autant d’oxymores impératifs : pour être solidaires, restez chez vous ; pour aider votre prochain, évitez-le ; pour être de bons citoyens, désertez la cité. Armé de son La Boétie – Discours de la servitude volontaire – bréviaire des dissidents de toutes les époques, il s’étonne de voir une discipline de fer s’instaurer aussi facilement, la soumission prévaloir sous la férule d’un pouvoir d’autant plus impérieux qu’il se recommande de la bienveillance. Il s’inquiète de voir que, pendant deux mois, tout s’est passé dans le débat public comme si la Terre s’était arrêtée, comme si un minuscule virus devait occuper toute la place dans l’esprit de l’opinion, chasser toute actualité étrangère à la pandémie, tandis qu’en coulisse guerres, conflits, oppressions et chambardements politiques continuaient de plus belle, à l’insu de tous.

Premier accusé : ce pouvoir médical, si amical en apparence, qui a instauré la minutieuse police des corps naguère dénoncée par Michel Foucault. Il retrouve dans la Naissance de la clinique des pages saisissantes sur les épidémies de jadis, où l’on retrouve les mêmes mots d’ordre, les mêmes interdictions, les mêmes obligations collectives – confinement, quarantaine, lazarets, rondes policières – qu’on croyait réservées à des temps révolus. Il voit comme une réminiscence régressive la montée au pinacle des Purgon et des Diafoirus, gouvernants des gouvernements, oracles des oracles officiels, conseillers intouchables dont on écoute les prophéties comme les anciens Grecs consultaient pieusement la Pythie de Delphes. Alors que leur discours, un peu comme celui de la devineresse dans sa caverne, était surtout marqué par l’incohérence, la confusion et la contradiction, dans le brouillard d’un savoir énigmatique et incertain. Il rappelle que dès les premiers temps bibliques, les sages et les prophètes du judaïsme se méfiaient des médecins, corporation péremptoire qui détient une autorité à leurs yeux usurpée. Le « corps médical », la « communauté des chercheurs », autant d’expressions qu’il récuse dans la mesure où ce groupe pétri de certitudes est aussi changeant et divisé que la société elle-même, qu’il livre des prescriptions variables et contradictoires au fil du temps, qu’il se fonde sur une science par nature déconcertée par un nouveau virus et livre des vérités successives au fur et à mesure de ses découvertes et de ses erreurs. Il rappelle que des praticiens fort humanistes des années 30, fascinés par leurs certitudes scientifiques, se sont fait les avocats d’un eugénisme implacable, fournissant sans le vouloir à Vichy et à d’autres dictatures les instruments de leur hygiénisme répressif.

Il s’élève contre cette idée folle selon laquelle « le virus pourrait avoir du bon », en obligeant la société à se réformer, alors que le virus ne pense rien, ne dit rien, n’est rien, sinon un poison aveugle qui attaque les humains et les oblige à un vaste retour en arrière. Il étrille ses adversaires habituels, gauche et droite radicales, qui plaquent leurs dogmes immobiles sur une situation mouvante pour refiler en douce, « juchés sur les épaules des morts et des réanimés », leurs projets à ses yeux funestes. Il refuse, se souvenant de Voltaire et du tremblement de terre de Lisbonne, les philippiques bigarrées des « déclinistes, décroissants et collapsologues », qui désignaient dans la pandémie la punition d’une humanité trop orgueilleuse qui aurait défié les lois du divin, ou celles de la nature qui en tient désormais lieu. Il fustige « la sournoiserie de ces flagellants s’évertuant sur le dos des victimes à gronder les survivants et à les accabler de leurs remontrances ». Il s’angoisse enfin devant la prolifération des outils de contrôle du genre humain, policiers, sanitaires, numériques, qui resteront là une fois l’alerte passée et pourront le cas échéant sortir du placard où on les a officiellement remisés pour servir d’autres fins, plus dangereuses que la lutte contre une épidémie. Bref, il dénonce « le virus qui rend fou », qui a fait perdre de vue à une humanité apeurée les principes élémentaires de la liberté et de la vie démocratique.

Bien sûr, tout à son élan de pamphlétaire, il néglige quelque peu le désarroi compréhensible de gouvernants pris par surprise, qui ont cherché dans l’improvisation le moyen de juguler un mal inconnu jusque-là et qui menaçait de déclencher une panique générale. Confinement barbare, certes. Mais les pays qui l’ont refusé initialement ont été contraints de s’y résoudre devant l’engorgement de leurs hôpitaux. Et aussi, sous un autre angle, progrès indiscutable d’un certain humanisme, puisque tous les pouvoirs ont préféré, dans l’urgence, sacrifier l’économie à la protection des vies, réaction inédite dans l’histoire moderne, qui préfère perdre des milliards plutôt que fermer les yeux sur la mort de milliers d’individus. Sensibilité nouvelle, donc, installée en grande partie par les médias, qui ont obligé les puissants, par le spectacle des malades entassés dans les hôpitaux, à abandonner l’obsession des indicateurs économiques au profit des indicateurs de santé.

Mais, c’est un fait, ce choix mondial se paie d’un recul des libertés, temporaire en principe, mais qui peut servir de dangereux précédent. D’où l’utilité de ce réquisitoire qui détonne dans le concert général et rappelle cette vérité précieuse : la liberté est pleine de risques. Mais la tyrannie, serait-elle sanitaire, est un mal bien pire.


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