Des livres secouent la France de manière cyclique. Le dernier en date est Qui a tué Daniel Pearl ? de Bernard-Henri Lévy. Il relate l’assassinat au Pakistan du correspondant américain du Wall Street Journal. Reprenant son enquête, BHL nous précipite dans la machinerie terroriste. Pearl était en train de pénétrer les rouages d’Al-Qaïda, démontrant que Ben Laden n’est qu’un lieutenant d’une organisation développée à l’échelle d’un État via ses services secrets, le Pakistan. Mais le Pakistan pose un problème, énorme : il détient l’arme atomique. Une arme sur laquelle les services secrets auraient la haute main. Effrayant lorsqu’on sait qu’ils sont infiltrés par les islamistes. BHL explique aussi comment un jeune Britannique d’origine pakistanaise, Omar Sheikh, peut basculer dans le terrorisme contre l’Occident et les juifs. C’est lui qui a planifié la mort de Pearl. L’attentat de jeudi en Israël semble donner raison à BHL : le kamikaze avait la même origine anglaise.

Le Pakistan est au cœur d’une logique démoniaque. Les arguments diplomatiques classiques ne risquent d’avoir aucune prise face aux idéologues religieux, prévient encore Valérie Niquet. Cette experte en stratégie rappelle que la Corée du Nord est tout aussi dangereuse. Rien à voir avec un Irak dépenaillé. Ces deux pays possèdent bien l’arme suprême, atomique.

PHILIPPE SCHMIT : Pourquoi décidez-vous de mettre vos pas dans ceux ce de Daniel Pearl et de partir sur les lieux, dangereux, où il avait enquêté ?

BERNARD-HENRI LÉVY : Le premier objectif, c’était de tirer Daniel Pearl de l’oubli, de perpétuer sa mémoire et les valeurs qu’il incarnait, de lui faire une petite sépulture de papier. Cette image d’un homme égorgé, devant une caméra, contraint de dire qu’il est juif et renversant l’aveu qu’on prétend lui extorquer en en faisant un signe de fierté, un honneur, une gloire, m’a terriblement impressionné. L’idée est de refaire l’itinéraire de Pearl, de lui reprendre la plume des mains, de continuer en quelque sorte le travail qu’il avait été contraint d’interrompre, de finir l’article qu’on lui avait interdit d’écrire. Un relais, si vous voulez. Un passage de témoin.

Comment avez-vous mené votre enquête dans un pays aussi hostile ? Dès votre arrivée, le chauffeur de taxi vous demande votre religion. Et vous lui taisez que vous êtes juif.

Pearl est mort de cela, du fait qu’il était juif dans un pays où le judaïsme lui-même est une sorte de crime. Et cela, je l’ai très vite découvert, alors que ces gens n’ont généralement aucune idée de ce qu’est le judaïsme. Je ne sais pas si vous le savez, mais le pays le plus antisémite d’Europe c’est l’Autriche. Or c’est un pays où il n’y a quasiment plus un juif. Eh bien c’est pareil pour le Pakistan. Les Pakistanais sont des antisémites enragés. Les juifs, pour eux, c’est le diable.

Vous estimez que le Pakistan est un des pays les plus dangereux du monde. Les Américains se seraient donc complètement trompés de cible en frappent l’Irak ?

On ne se trompe jamais complètement de cible quand on détruit un dictateur, quand on ouvre des prisons, etc. Mais enfin si l’urgence était de traquer Al-Qaïda, de détruire des armes de destruction massive et de ramener à la raison un État dangereux pour la paix, l’Irak était à l’évidence une fausse cible. La vraie menace est le Pakistan.

L’islam porte-t-il une responsabilité dans l’effroyable scénario que vous pressentez ?

Sûrement pas l’islam en lui-même. Le Coran n’est pas en soi un livre plus violent que d’autres livres saints. Il contient autant de versets de guerre que de mansuétude. Le vrai problème est que les forces susceptibles de promouvoir la lecture miséricordieuse de l’islam parlent moins fort que les forces prônant une lecture fanatique de ces mêmes textes.

Vous affirmez que Ben Laden n’est qu’une façade pour des gens plus dangereux. Le problème Al-Qaïda est donc plus complexe qu’on ne l’imagine ?

Oui, bien sûr. Ben Laden a des maîtres. Des tuteurs. C’est un bon financier. Peut-être un bon stratège. Mais ce n’est pas un idéologue. Ni un maître spirituel. Il a des gens qui l’inspirent. C’est là-dessus qu’enquêtait Pearl. C’est là-dessus, sur ces souffleurs secrets, que j’enquête à sa suite.

Vous vous êtes engagé en Bosnie, en Afghanistan, vous avez vécu des guerres. Faudra-t-il une guerre pour endiguer cette menace qui s’appuie sur l’arme nucléaire ?

Non, bien sûr. J’ai vu assez de guerres dans ma vie pour penser que c’est la dernière des solutions. En revanche, la communauté internationale a le droit et le devoir de faire respecter les règles de non-prolifération et de contrôler les armes atomiques de ce pays. Elle a les moyens et le droit de sécuriser un pays détenteur d’armes nucléaires, surtout lorsqu’il les a développées et testées dans l’illégalité la plus totale. La solution serait donc de dépêcher des inspecteurs en désarmement, comme on l’a fait en Irak.

Cette enquête au Pakistan a donc provoqué chez vous une extrême inquiétude…

On ne sort pas intact de ce voyage dans un pays aussi parfaitement enfiévré par l’islamisme radical. Le XXe siècle a eu affaire au nazisme et au communisme. Le XXIe siècle aura à combattre cette autre forme de fanatisme. Pas l’islam en tant que tel, je le répète. D’autant que les premières victimes de cette folie islamiste sont, bien souvent, les musulmans eux-mêmes. Pensez à l’Algérie ! À l’Afghanistan des Talibans ! Ou même au Pakistan, ce pays magnifique dont la population vit sous la règle de fer de cet islamisme dément. 2500 Chiites ont, des dernières années, été assassinés, coulés vifs dans de la chaux vive par les groupes terroristes sunnites.

Vous réfutez donc la thèse du « choc des civilisations », qui opposerait Occident et islam ?

Le seul choc de civilisations sérieux c’est celui de la civilisation démocratique contre le totalitarisme. Ou encore de l’islam modéré contre l’islam des fous de Dieu. Il y a une majorité de musulmans dans le monde qui sait que le Coran est compatible avec les droits de l’homme, la démocratie, et même avec la laïcité. Ils sont en guerre, ceux-là, avec les dingues de l’islamisme radical.

Vous avez passé un an immergé dans la mémoire de Pearl. A-t-il bouleversé votre vie ?

Oui, forcément. Il a bouleversé mes jours, mes nuits et, aussi, ma vision du monde. Cette décapitation sur laquelle s’ouvre le livre, cette description du martyre d’un Juste, c’est peu de dire qu’elles me hantent : elles m’accompagnent et m’accompagneront, je pense, tout le temps que je vivrai.


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