Remontée du « oui ». Feu de paille ? Durable ? Et que signifiait, alors, ce festival des « non » ? Un 21 avril anticipé et à blanc ?
L’incoercible désir, chez tout lecteur digne de ce nom, de fermer les yeux ou, comme dit Kubrick, de lire « eyes wide shut ». Lecteur éveillé, comme on dit des vrais rêveurs.
Bizarre, d’ailleurs, ce François Sureau. Jeune homme, des romans sages, la tyrannie du bel écrire, un côté haute littérature qui épatait les académiciens. Aujourd’hui, ce « roman onirique » (2003, Les Alexandrins) ou, surtout, ce « poème d’action » (2005, La chanson de Passavant), difficile d’accès, un pas de côté, façon de creuser le malentendu. Énigmatique. Intéressant.
Jospin voulait-il – veut-il – être Mitterrand ou Mendès ? Le prochain président ou sa conscience morale ? Souvenir de Mitterrand lui-même, un an jour pour jour avant sa première élection, face à quelques amis, hésitant, à voix haute, entre les deux destins – peut-être une part de lui a-t-elle choisi le premier parce que l’autre lui était interdit.
Dans un roman réussi (peut-être, aussi, dans un film), l’atmosphère, c’est l’obscurité de l’image.
Une langue soudain étrangère (ici, dans le quartier coréen de Los Angeles) : celle où ne filtre plus aucune intonation familière.
A cet ami, militant d’Attac et nostalgique, comme il dit, de l’anticapitalisme de la génération des baby-boomers, je donne ce texte de Levinas sur la « fonction éthique de l’argent ». Le troc, c’est la barbarie, dit le philosophe du visage, de la réciprocité, de l’excès d’autrui. L’argent, c’est l’échange médiatisé et donc, qu’on le veuille ou non, le début de la civilisation.
« Je l’imagine là-haut dans son appartement du ciel »… Ce sont les premiers mots de Claude Lanzmann pour la réédition, chez Gallimard, des fameux Témoins de Sartre parus dans Les Temps modernes il y a quinze ans. Mystère, dit Lanzmann, de cette haine qui, un quart de siècle après la mort de l’auteur de La nausée, continue de le poursuivre, vivace comme au premier jour. Maintenir, dit-il aussi, le « cap de non-infidélité » dû à ce grand vivant qui ne concevait l’exercice de la pensée que comme un effort continu pour « se casser les os de la tête ». Ici, en tout cas, on tient et tiendra le cap.
Un chef-d’œuvre ? Les fortes vertus, conjointes, de l’évidence et de l’opacité.
Révoquer en doute les certitudes et idées reçues. Mais sans que le scepticisme ou, pire, le relativisme ou, pire, le négationnisme puissent y trouver leur compte : telle, aussi, la tâche de la pensée.
Ce halo d’étrangeté et presque de banalité qui nimbe, si souvent, les premières œuvres d’un grand écrivain. Le Solal d’Albert Cohen, trente ans avant Belle du seigneur. Le Jean Santeuil de Proust. Les petits romans de jeunesse, étrangement appliqués, de Sartre ou de Malraux. Et, aujourd’hui, Ashby et Sur un cheval de Pierre Guyotat qu’exhume Bernard Comment, dans la collection « Fiction et Cie » du Seuil, et qui ont le même charme, et qui suscitent le même malaise.
Chez un bouquiniste parisien, dans un numéro de La Revue blanche (1896), Mystères, de Fernand Gregh, le premier roman dont Proust est le héros.
D’Yves Berger, ce vœu mis en exergue de la revue Autre Sud, dans sa dernière livraison : « Si je meurs je veux être enterré dans les mots. » Comme un vieil Indien avec ses plumes ? Cher, vieil ami.
De Jean Baudrillard, dans Cool Memories 5 (Galilée, as usual), cette réponse à ceux qui lui avaient reproché de « se réjouir » du 11 septembre. On peut se réjouir d’un événement effroyable et se reprocher cette joie. On peut aussi en jouir sans le dire et, pire, sans le savoir (n’était-ce pas le fait de nombre de ses contempteurs ? et n’était-ce pas, en effet, infiniment plus grave ?).
Badiou serait à Lacan ce que Platon fut à Socrate. C’est la thèse de Mehdi Belhaj Kacem, jeune philosophe dont le dernier numéro de Technikart me donne envie d’acheter le livre (L’affect, Tristram). Lire. Et y revenir.
Lecture de la semaine : de la journaliste Florence Schall, un Jamais je n’oublierai Beslan (Lattès) dont la trame est, racontée heure par heure, la prise d’otages de septembre 2004, au cœur de la Russie de Poutine. 349 morts. Plus de la moitié d’enfants. Et, décor de ce livre-tombeau, le génocide – c’est son mot – de la population civile tchétchène.
Sartre, Lacan, tous les grands : morts à rebondissements.
Plusieurs vies en une : la vie – si brève, pourtant – de Dominique de Roux telle que la raconte Jean-Luc Barré (Fayard).
Et puis, en postface et réponse à La Pensée tiède de Perry Anderson (Seuil), cette formule de Pierre Nora pour qualifier le néoradicalisme d’aujourd’hui : « Le mélange de Joseph de Maistre et de Robespierre ». D’accord.
La naïveté de nos chimères, l’absurdité savante de nos engagements : ma génération.
Cynisme et sentimentalisme, les deux notes d’aujourd’hui : changement d’époque.
Réseaux sociaux officiels