Le titre est celui, brut, d’un polar : Qui a tué Daniel Pearl ?, sous lequel s’impose l’image cruelle du jeune journaliste de 38 ans, enchaîné, une arme sur la tempe. On sait qu’il vit là, ce 31 janvier 2002, ses derniers instants, qu’il sera bientôt égorgé, puis décapité, tout cela sous l’œil d’une caméra. Pourquoi cet assassinat sauvage ? Qu’avait trouvé au Pakistan le correspondant pour l’Asie du Sud du Wall Street Journal avant d’être ainsi exécuté ? Sur quelles pistes était-il ? Bernard-Henri Lévy pendant plus d’un an a mis, non sans risques, ses pas dans ceux du reporter victime et de son bourreau, Omar Sheikh, le « fils préféré » d’Oussama Ben Laden. Il en a fait un livre dense, à la première personne, conduit comme un suspense, terrifiant dans ses conclusions. Il le dédie à Adam, le fils que Daniel Pearl n’a pas vu naître.

MICHEL VAGNER : Vous présentez ce récit comme un « romanquête ». Que voulez-vous dire ?

BERNARD-HENRI LÉVY : C’est une méthode assez rigoureuse : les faits, rien que les faits et quand le réel se dérobe, la part forcée de l’imaginaire. Les seuls moments où l’imagination du romancier prend le relais, c’est quand il n’y a pas moyen de faire autrement, au cours de deux scènes lorsqu’il s’agit du monologue intérieur de Daniel Pearl, de son état d’esprit à l’instant de la décapitation. Mon premier impératif a été l’honnêteté absolue : toujours dire ce que je sais, comment je l’ai su, de quelle manière, dire ce que j’ignore. Je prends le lecteur à témoin de ma recherche, des moments où elle avance, des impasses, je ne lui livre pas une vérité toute armée.

Qu’est-ce qui, dans cette affaire, a fait écho en vous ?

Le fait d’avoir consacré quelques années de ma vie à la Bosnie a bien sûr compté dans mon effroi lorsque je découvre que le commanditaire de cet assassinat a été un fou de Sarajevo. La manière dont Daniel Pearl cultivait son judaïsme, un judaïsme ouvert à l’autre, solaire, positif, ne m’a pas été indifférente non plus. Enfin, cette zone-là, l’Afghanistan, le Pakistan, l’Inde, le Bangladesh, quand je fais le bilan provisoire de ma vie, est plus que d’autres régions du monde, mon œil du cyclone. Mais en même temps, ce qui fais que j’ai écrit ce livre, est une émotion que j’ai partagée avec des millions et des millions de gens quand ils ont appris cette décapitation, et après, c’est ma stupeur quand j’ai commencé à m’intéresser à la personnalité de l’assassin, un assassin qui nous ressemble, un musulman anglais modéré qui a fait une grande école, qui était destiné à être un trader et qui a plongé dans la barbarie.

« L’Irak : erreur de tir »

Omar Sheikh est-il représentatif ?

C’est un archétype. Oussama Ben Laden, Mohammed Atta, le pilote du premier avion contre le World Trade Center lui ressemblent comme Moussaoui et tous les autres. Ils sont fabriqués sur le même moule. Ce sont des musulmans frottés à l’Occident et qui en ont retenu les leçons. Ce ne sont pas des obscurantistes. Les assassins sont parmi nous… Les spécialistes ont trop tendance à voir l’aspect religieux, intellectuel, idéologue de ces gens alors qu’ils appartiennent d’abord à des gangs. Ben Laden vit sur une image de Robin des Bois, de milliardaire ascète et révolutionnaire qui met sa fortune au service des damnés de la planète. C’est faux : depuis qu’il a lancé Al-Qaïda, il ne s’appauvrit pas, il s’enrichit. Mais c’est une marionnette que nous agitons sur le devant de la scène alors qu’il y a derrière des souffleurs, des tueurs, des inspirateurs secrets. L’une des deux raisons pour lesquelles Daniel Pearl a été assassiné, c’est qu’il avait probablement découvert l’identité de l’un des souffleurs : je le nomme, c’est Pir Mubarak Shah Gilani. C’est pourquoi on a préféré le faire taire.

Quelle est la deuxième raison ?

Le nucléaire. Je fais le pari d’un Daniel Pearl en train de rassembler les preuves de la collusion du Pakistan qui a la grands États voyous et les réseaux terroristes de la planète, se prêtant, ç travers le plus prestigieux de ses savants, aux plus redoutables opérations de la prolifération nucléaire.

Le Pakistan, allié des États-Unis !

Les Américains vivent sur une définition de l’État voyou, d’il y a 20 ans. Quelle erreur de tir ! L’Irak, la Syrie, la Libye, l’Iran, c’est l’époque de Jimmy Carter. La vraie triade noire aujourd’hui, à laquelle les Américains n’ont pas déclaré la guerre même en pensée, au contraire, si on met à part la Corée du Nord, c’est le Yémen, l’Arabie saoudite et le Pakistan, cette Maison du Diable à qui viennent d’être livrés des F16. Je vous rappelle que c’était une revendication des ravisseurs de Daniel Pearl.


Autres contenus sur ces thèmes