On a sauvé le soldat Politique. Tout le monde prévoyait une abstention massive et un nouveau désastre civique. Tout le monde imaginait un autre 21 avril sur fond de « tous pourris, tous pareils, à quoi bon aller voter si c’est pour prendre les mêmes et recommencer ». Ce poujadisme n’a pas pris. Les politiques antipolitiques n’ont pas été entendus. Et ce pays de plus en plus bizarre qui savait à peine, huit jours plus tôt, quand était l’élection, combien de tours, quels enjeux, s’est miraculeusement ressaisi et est quand même allé aux urnes. Regain démocratique. Sursaut. Un peu de l’amertume, de la honte du 21 avril effacées.
Raffarin disait : élections locales. La gauche, prudente, laissait faire et n’osait pas trop le contredire. Les Français, eux, l’ont contredit. Avec un sens politique qui a surpris, là aussi, les meilleurs augures, ils ont compris et dit que l’enjeu était national. Ils n’ont pas voté aquitain ou breton, mais républicain. Ils n’ont pas voté pour telle rocade sur telle autoroute, mais pour ou contre le retour du chômage, la politique de la recherche ou de l’intermittence – ils ont voté en fonction des grands problèmes qui se posent, partout, à tous les Français. Echec du localisme. Un peuple qui sait, et le dit, que le propre de la démocratie, c’est qu’il n’y a jamais, nulle part, de scrutin purement local. Bravo.
Raffarin, justement. L’apôtre de la France d’en bas, le chantre de l’intelligence de la main n’est pas un mauvais homme, mais c’est un médiocre Premier ministre. Eh bien, affaiblissement de Raffarin. Preuve, plus exactement, qu’il n’est peut-être pas à la hauteur de ces grands enjeux nationaux. Et voie libre, de ce fait, pour les deux shadow Premiers ministres qui faisaient, déjà, une partie du boulot dans son ombre : Sarkozy et Villepin. Solitude de Chirac ? Echec ? Mais non ! Ce n’est pas une telle affaire, pour un président, de se tromper. Tous les présidents de la République – Mitterrand avec Cresson – se trompent, de cette façon, au moins une fois. Le tout (c’est son cas) est d’avoir dans son jeu d’autres hommes de stature. Le tout (c’est le mérite de cette élection) est de recevoir le message et de l’entendre : que l’on soit de gauche ou de droite, peu importe – la France, en toute hypothèse, mérite un chef de gouvernement ambitieux, audacieux.
Deux droites, en fait. Pour la première fois depuis longtemps, émergence de deux droites (UMP, UDF) dont la concurrence, sur un point au moins, celui du Front national, fera l’affaire de tous les Français. L’UMP, comme l’UDF, n’a besoin de personne pour être naturellement anti-FN ? Soit. Mais en même temps… Une faiblesse est si vite arrivée… Un petit appel du pied, dans la panique d’une veille de second tour, en direction du réservoir de voix FN… Eh bien, il y a deux réservoirs, maintenant. Il y a deux gisements alternatifs. Et chacun sait, à l’UMP par exemple, qu’à trop lorgner sur l’un (FN) il perdra l’accès à l’autre (UDF) – chacun sait qu’un seul mot sur les fameuses « valeurs partagées » avec le FN, et c’en est fini des bons transferts de voix entre les deux viviers de la bonne droite démocratique. L’UDF gardienne de sa sœur UMP. L’UMP gardienne de sa sœur UDF. C’est, spontanément, sans que nul l’ait voulu ni calculé, la plus efficace des machines anti-FN.
Le FN, justement. La stabilisation de son électorat. Et, plus symbolique encore, la défaite, en Ile-de-France, de la fille et clone du chef, Marine Le Pen. Les politologues ont déjà, j’en suis sûr, leur petite idée sur cette défaite. Et peut-être y est-il entré, d’ailleurs, le pire de ce vote FN : macho, facho, on ne va pas se laisser mener par une gonzesse, etc. N’empêche. Le résultat est là, et il n’est pas question de le bouder : la fille a été battue après que le père a été écarté ; la succession, tant redoutée, ne semble pas avoir eu lieu ; et c’est, pour le vieux tribun, pour le courant qu’il représente et qu’il aimerait voir se continuer après lui, un authentique échec. 17 %, ce n’est pas rien ? Non. Mais ce n’est pas le grand basculement que l’on craignait. Ce n’est pas – pas encore – la relève des générations.
La gauche. Renouveau, aussi, à gauche. Et apparition non pas exactement de nouveaux visages, mais de nouvelles figures d’autorité, à commencer par l’une d’entre elles, une femme, que l’on connaissait mais qui prend, soudain, sa vraie taille : Ségolène Royal. Le sourire de Ségolène. La sincérité de Ségolène. La modestie, feinte ou non, de la probable présidente de Poitou-Charentes. Ce côté province heureuse qui est l’exact opposé de la triste France d’en bas. La droite a Bernadette. L’extrême droite, Marine. Le PC, Marie-George Buffet. L’extrême gauche, Arlette. Eh bien, dans cette élection décidément dominée par les femmes, la gauche a Ségolène, qui rejoint le carré de tête des ténors du PS – et c’est une autre bonne nouvelle.
Un dernier mot. L’extrême gauche. Cette autre plaie, symétrique du vote d’extrême droite pour la droite, qu’était, pour la gauche, le vote d’extrême gauche. Cette façon que l’on avait, pour aiguillonner la gauche de gouvernement, de voter pour des gens dont le but était, en réalité, de la mettre hors jeu. Là aussi, coup d’arrêt. Là aussi, prise de conscience de la frivolité d’une démarche qui consistait, sans y croire, ou en croyant pouvoir le faire sans risque, à apporter sa voix à des gens – Arlette, Besancenot – qui ne sont plus des démocrates. La leçon du 21 avril a porté. On joue moins avec le vote, les institutions, la culture démocratiques. Et c’est, encore, une excellente nouvelle.
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