La première bonne surprise de cette élection, c’est évidemment le taux de participation. Du jamais vu sous la Ve République. Du jamais connu depuis trente ans, et plus, que j’observe des campagnes présidentielles. Ce peuple que l’on disait blasé, lassé, dépolitisé, ces majorités indécises, cet Homo politicus à l’agonie qui était supposé céder la place au téléspectateur et au blogueur, eh bien non, il bouge, il est vivant et il nous dit – comment l’appeler autrement ? – son amour de la politique. On pense au Kant de Qu’est-ce que les Lumières. On pense à ce devenir-majeur, sans tuteur, du citoyen émancipé, hors des chaînes de la pensée toute faite. Enfin !

La deuxième bonne surprise, c’est Le Pen. Il n’a jamais été si bas. Son ascension, que l’on croyait irrésistible, a été clairement stoppée. Alors, bien sûr, on peut pinailler. On peut expliquer que rien ne sert de contrer le FN si c’est pour récupérer ses arguments. Soit. Mais enfin… Ne vaut-il pas mieux, quand même, le fantôme du FN dans la tête de quelqu’un dont nous savons qu’il n’en est pas ? Et peut-on répéter, comme nous le faisons depuis vingt ans, qu’entre l’original et la copie les électeurs choisissent toujours l’original et, quand ils démentent le pronostic, ne pas le reconnaître loyalement et s’en réjouir ? Je n’ai pas voté, et ne voterai pas, pour Nicolas Sarkozy. J’ai voté, et voterai, pour Ségolène Royal. Mais il y a là, qu’on le veuille ou non, et pour partie, un effet de la stratégie du candidat de l’UMP.

La troisième bonne surprise, c’est l’extrême gauche. Je n’ai pas les chiffres, là, des élections précédentes. J’écris à chaud et je n’ai donc pas les chiffres exacts. Mais le conspirationniste Bové à 1%, la sinistre Laguiller finissant sa vie politique sur un score aussi piteux, et le Parti communiste touchant des niveaux si bas que se pose le problème de sa survie : pour un antitotalitaire conséquent, quelle heureuse nouvelle ! pour tous ceux qui ne se résolvent pas à penser qu’un totalitaire de gauche vaut mieux qu’un totalitaire de droite, quelle libération ! Cette libération, ce succès, c’est à l’autre grande gagnante de la soirée, la radieuse Ségolène Royal, que nous les devons. Cela, aussi, doit être dit.

La quatrième bonne nouvelle – que l’on doit, elle, au troisième homme de la campagne, François Bayrou –, c’est l’apparition, pour la première fois dans l’histoire de la Ve, d’un centre digne de ce nom. Pas le centre de Barre en 1988. Pas le centre de Balladur en 1995. Un vrai centre. Un vrai troisième parti, centriste, doté de valeurs et de principes qui sont les siens. Il lui reste, certes, à trouver sa forme. Son nom. Sa place exacte sur l’échiquier. Il lui reste à aller au bout de sa logique et à dire donc, nettement, qu’il n’est pas juste cette « seconde droite » que d’aucuns le soupçonnent d’être. Mais, s’il le fait, s’il rompt, cela change tout. Et c’est vrai que l’alternance, grâce à lui, devient possible.

Le corollaire de tout cela, c’est que Michel Rocard, Bernard Kouchner et Daniel Cohn-Bendit avaient raison. Trop tôt, peut-être. Mais ils avaient raison. Car si l’on met bout à bout ce qui précède, si l’on pense ensemble la percée de Bayrou et l’effondrement de l’extrême gauche, la conclusion s’impose : il n’y a plus de majorité de gouvernement, pour la gauche, avec l’appoint de l’extrême gauche ; les stratégies dites de gauche plurielle ou, pis, d’union de la gauche appartiennent au passé ; la gauche, autrement dit, peut gagner, mais elle ne le fera qu’en s’alliant clairement, sans réserve, avec ce tiers parti centriste. C’était, naguère, le programme de Maurice Clavel : casser la gauche pour vaincre la droite. Celui de Claude Lefort : briser l’homonymie qui donne le même nom – « la » gauche – aux héritiers de Lénine et de Jaurès. Enfin, nous y sommes. Enfin, nous sortons de l’âge de plomb du guesdisme et du mollettisme.

Mme Royal le sait-elle ? Fera-t-elle les gestes, très vite, qui montreront qu’elle l’a compris ? Une phrase, une seule, en direction de François Bayrou et de ces 6 millions d’électeurs qui, pour nombre d’entre eux, sont prêts à la rejoindre… Une phrase, une seule, en direction de celui, Dominique Strauss-Kahn, dont je ne cesse de répéter – j’en demande pardon à mes lecteurs – qu’il est l’incarnation, auprès d’elle, de ce renouveau et tient donc les clés du succès… Qu’elle prononce ces deux phrases, qu’elle bouscule, en les prononçant, les archontes de son propre parti, et elle change le visage de la France pour, peut-être, l’emporter.

Car j’oubliais l’essentiel. Le style de Ségolène Royal. Son allure. Cette façon, décidément neuve, de faire de la politique et de la dire. Ce cran. Cette trempe. Cette obstination inentamée qui a eu raison des pièges et embûches venus, comme souvent, de son propre camp. A cause de tout cela, à cause aussi des engagements pris, hier soir encore, sur l’Europe, à cause de son insistance à se réclamer d’une France qui soit d’abord une Idée et qui, partout dans le monde, portera, comme elle le dit, le message des droits de l’homme et des Lumières, à cause de tout cela, oui, et dans l’espoir, je le répète, qu’elle ose les mots pour dire cette gauche moderne, libérale, réformatrice que le pays attend et mérite, elle demeure – naturellement – ma candidate.


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