Une fanfare de flûtes et de tambours. Une haie d’enfants frêles tapant, en rythme, dans leurs mains. D’anciens combattants à la barbe blanchie qui chantent en chœur l’hymne du Bengale libre. Et, tendues entre des bambous, des banderoles de calicot jaune : « Welcome Back in Jessore, Veteran Bernard-Henri Lévy ! » Eh oui, Jessore. C’était il y a presque cinquante ans. J’avais, ainsi qu’une poignée d’autres, répondu à l’appel d’André Malraux exhortant les jeunes gens de France à former, face à l’horreur des crimes de l’armée pakistanaise dans ce qui n’était encore que la partie orientale du pays, une brigade internationale comme pour la guerre d’Espagne. J’avais atterri à Calcutta. Franchi la frontière indienne à Satkhira, en compagnie d’un marchand de topazes qui avait fui son village mais revenait chercher ses trois filles. Et j’étais arrivé exactement ici, 70 kilomètres plus au nord, à Jessore, alors sous les bombes et la mitraille.

C’était à peine une ville à l’époque. Il n’y avait ni cet aéroport. Ni cet enchevêtrement de maisons coloniales, d’immeubles neufs inachevés et de huttes de boue. Ni cette population d’enfants en guenilles, de marchands de zébus et de mendiants découragés, intrigués par le spectacle de cet étranger, ému aux larmes, à qui l’on fait ainsi fête. Mais c’est le même ciel pâle. Le même parfum aigre, mêlé aux relents de l’huile de coco cuite. Et, sitôt sorti du bazar, sur les deux bords de la route mal carrossée que se dispute une cohue de pousse-pousse, de charrettes pleines de fagots et de bus, bondés jusqu’au toit, dont on craint, à chaque virage, qu’ils ne se renversent, la même morne plaine où croupit l’eau des rizières. Bangladesh de mes 20 ans.

Posés contre le mur, deux portraits délavés, noir et banc, de Marx et de Lénine révérés à l’égal de Shiva et Vishnou

Akim Mukherjee était un jeune chef maoïste qui m’avait récupéré à Satkhira, derrière le front, après le marchand de topazes. J’ai communiqué son nom à Mofidul Hoque, du Liberation War Museum de Dacca. Lequel l’a transmis à la police qui, vu que les communistes clandestins de l’époque avaient une foultitude de noms de guerre, a eu du mal à retrouver sa trace. Et nous voilà dans cette maison de village, adossée à une pièce d’eau, où nous avions passé quelques nuits avant de partir sillonner les marécages de riz et de sang – en quête de brochures marxistes-léninistes ronéotées dont le Bangladesh était alors grand producteur et dont j’allais nourrir Les Indes rouges, mon premier livre.

« Mon père est mort », annonce, d’un ton théâtral, l’homme d’une cinquantaine d’années qui m’attend sur le seuil et se présente comme le fils de mon ami. « Il parlait souvent de vous », poursuit-il, tandis que nous prenons place sur la véranda où il a fait servir des assiettes de bananes. « Un jeune Français avec une veste jaune… Il avait conservé ceci… » Il sort d’une chemise plastifiée, mêlée à des coupures de presse décolorées, une carte de visite à l’adresse de l’Ecole normale de la rue d’Ulm où j’ai ajouté, d’une écriture d’enfant, l’adresse de mes parents. « Mais venez voir votre chambre. C’est là qu’il est mort. Rien n’a bougé. » Je ne suis pas sûr de reconnaître le lit de sangle. Ni la table où sont rangés de vieux recueils de poésie bengalie. Mais ce qui n’a visiblement pas bougé, c’est ceci : posés contre le mur, à même le sol, près d’un petit autel chargé de fioles à encens, bougies, assiettes de victuailles, images pieuses multicolores, grelots sacrés, deux portraits délavés, noir et banc, de Marx et de Lénine révérés à l’égal de Shiva et Vishnou. Allant pour ouvrir le volet et faire entrer la lumière, je les déplace. Surgit, de derrière ces reliques, une énorme araignée noire qui file se coller sur une lanterne. Un signe. Mais de quoi ?

Quelle force de pasionarias quand elles racontent les années de lutte pour arracher le statut, non seulement de victimes, mais de « Mukti Bahini », de « Combattantes de la liberté », à part entière

Ces vieilles dames, retrouvées au musée et qu’a rassemblées mon vieil ami Abdul Majeed Chowdhury, sont des Birangona. Littéralement, des héroïnes de la nation. Sauf qu’elles doivent cette qualité au fait qu’elles furent, pendant la guerre, comme 400 000 autres, abusées par la soldatesque pakistanaise ; et que, confronté, neuf mois plus tard, lors de la proclamation de l’indépendance, à la naissance des enfants de ces viols, le premier président du pays, Mujibur Rahman, a pris cette décision historique : au lieu, comme dans la plupart des sociétés traditionnelles, de les maudire et de les bannir, il les a décrétées, lui, père de la nation, les égales de ses filles… Savent-elles que je fus alors, pendant plusieurs mois, une sorte de mercenaire intellectuel mettant au service du nouvel Etat les bribes d’économie apprises au contact de mon professeur, Charles Bettelheim, expert ès communes populaires chinoises ? Et leur a-t-on dit que, ayant eu le privilège d’approcher le nouveau président, je fus de ceux qui lui soufflèrent que leur souffrance, leur innocence, mais aussi leur résilience faisaient d’elles des héroïnes naturelles pour le récit national naissant ?

Elles ont entendu cela, oui. Mais ce dont elles sont très précisément informées c’est de la révolution en marche qui criminalise, en Occident, les violences faites aux femmes. Elles n’ont plus d’âge. Elles marchent à petits pas. Quelques-unes, drapées dans leurs saris aux couleurs fraîches et arborant leurs plus précieux bijoux de nez, sont venues en chaise roulante. Mais quelle rage pour dire les sévices passés ! Quelle force de pasionarias quand elles racontent les années de lutte pour arracher le statut, non seulement de victimes, mais de « Mukti Bahini », de « Combattantes de la liberté », à part entière. Et quelle gaieté de jeunettes lorsqu’elles se proclament, depuis leurs chaises roulantes, l’avant-garde du féminisme mondial !

A Golora, faubourg de Manikganj, commence l’autre Bangladesh. Le rural. Le villageois.

Sheikh Hasina est la fille de Mujibur Rahman. Et elle est, depuis onze ans, la Première ministre du pays. Elle est de ma génération. Elle connaît mon histoire. Et c’est à ce titre qu’elle m’a convié aux cérémonies marquant les 100 ans de la naissance de son père et les 50 ans de celle de son pays. Les festivités, coronavirus oblige, ont été ajournées. Mais je lui apporte une lettre du président Macron que, coronavirus oblige aussi, je dois déposer sur la table basse, entre nous, juste au-dessous du portrait de Mujib, dans le sobre salon où elle me reçoit avec l’ambassadeur de France. Elle fait mine de la prendre. Se reprend. M’adresse un sourire complice quand son chef du protocole se lève pour, dûment ganté, la décacheter à sa place. Elle a la réputation d’une dirigeante autoritaire, implacable avec ses opposants. Et il est vrai qu’avec son sari mordoré qui paraît une armure, ses lunettes d’écaille accusant l’éclat glacé des yeux verts, sa mâchoire forte, elle a un air d’Indira Gandhi au temps de sa splendeur. L’emporte pourtant, à cet instant, la juvénilité de l’expression. Sa gaieté malicieuse quand nous évoquons nos souvenirs communs de cette libération nationale réussie. Sa façon de jouer les étonnées quand je lui raconte le mal qu’a eu sa police pour identifier cet Akim Mukherjee avec qui je vécus, il y a si longtemps, mon baptême du feu. Et puis, tout de même, oui, un éclat de férocité quand j’évoque l’assassinat de son père, quatre ans plus tard, en 1975, par des militaires putschistes : presque toute la famille succomba ; seules elle et sa jeune sœur, parce qu’elles se trouvaient à l’étranger, ont miraculeusement échappé au massacre ; mais, pour ces Antigone de Dacca, le temps n’a pas passé et la volonté de vengeance est intacte.

A Golora, faubourg de Manikganj, commence l’autre Bangladesh. Le rural. Le villageois. Celui où nous étions venus, avec Rafiq Hussain, le fils aîné de la toute première famille à m’avoir hébergé, après la libération, à Dacca, interviewer Maulana Bhashani, le vieux leader maoïste paysan qui disputait à Mujibur Rahman la direction de la Ligue Awami. Un demi-siècle plus tard, je viens m’y recueillir devant un modeste monument, réduit à un tertre de pierre sèche et ceint d’un simple mur de brique, où reposent les restes d’un nombre indéterminé de civils exécutés dans les dernières heures de la guerre. Combien, dans le pays, de mausolées comme celui-ci ? Dans combien de villages, au bout de chemins de terre où ne passent que les motocyclettes, au milieu d’un champ de fleurs ou à l’ombre d’un bouquet de banians, cette volonté de marquer les ossuaires ? Nul n’en sait rien. Car nul ne sait combien de morts, au juste, a fait ce génocide. Que ce soit un génocide, c’est établi. L’intention, selon les chercheurs, était là. Et tous les différents critères qui caractérisent la chose. Mais s’il a fait, ce génocide, un million de victimes, deux, trois, peut-être quatre, aucun n’est capable de l’affirmer. « Vous êtes le seul peuple au monde, dis-je au groupe d’adolescents qui m’ont suivi depuis Golora et les ruines de son palais fantôme dont les escaliers de façade, plongeant dans un étang saumâtre, attirent les touristes de Dacca, à qui il ne soit pas permis de compter ses martyrs. Vous êtes les seuls à honorer des morts, non seulement sans tombe, mais sans nom et même sans nombre. Il faut que, dans tous les villages du Bengale, tant que les témoins sont de ce monde, se fasse le travail du souvenir. Il faut que, partout, les survivants, et les descendants des survivants, assurent la transmission des récits familiaux. Un grand peuple ne peut vivre sur pareil trou de mémoire. »

Mon cher Bangladesh n’aurait-il pas un vrai rôle à jouer dans le corps-à-corps, partout, entre l’islam des Lumières et celui des fous de Dieu ?

Je l’appelle Benazir. Nous sommes entrés en contact via Facebook. Elle dirige un collège de filles à Rajshahi, dans l’ouest du pays. Et vit sous protection policière depuis qu’elle a proscrit, dans ses classes, le port du voile. « On a besoin de voir la tête de nos élèves », commence-t-elle, dans le minuscule restaurant du vieux Dacca, presque une échoppe, où a été fixé le rendez-vous et qui sert du paturi, ce poisson en fines tranches, baignant dans la moutarde et enveloppé dans des feuilles de bananier, qui faisait naguère mes délices. Et, à voix plus basse, après un coup d’œil aux tables voisines, trop proches, puis vers la rue si thrombosée, à cette heure, par le chaos des scooters, tuk-tuk et camionnettes roulant en sens interdit qu’on est sûr, en cas d’attaque terroriste, qu’aucun secours ne passera : « Et puis nous ne sommes pas une école coranique ; nous avons aussi des hindoues, des bouddhistes, quelques chrétiennes, des chiites ; vous me direz que les chiites aussi sont musulmanes ; c’est vrai ; mais elles sont dans le collimateur du Jamaat, ce parti islamiste que le gouvernement a interdit parce qu’il servait de courroie de transmission à Daech… » On oublie toujours cet aspect des choses quand on parle du Bangladesh. Moi-même, à l’époque, je ne suis pas sûr d’avoir été conscient de ce partage fondateur dans la guerre contre le Pakistan. D’un côté le « pays des purs » dont le fondamentalisme islamiste était l’ADN. De l’autre une société à majorité musulmane, mais multiconfessionnelle et respectueuse de ses minorités. Ne serait-il pas temps de s’en souvenir maintenant que fait rage la guerre mondiale des deux islams ? Et mon cher Bangladesh n’aurait-il pas un vrai rôle à jouer dans le corps-à-corps, partout, entre l’islam des Lumières et celui des fous de Dieu ?

Un camp est un camp, naturellement. Et l’on ne me fera jamais dire qu’il y a des réfugiés heureux. Mais le hasard fait que j’arrive à Kutupalong, près de Cox’s Bazar, le camp de réfugiés géant où sont regroupés, depuis presque trois ans, près d’un million de Rohingyas fuyant la persécution anti-musulmane en Birmanie, quelques jours après une visite à Moria, sur l’île grecque de Lesbos, où arrivent les Syriens qu’Erdogan renvoie vers l’Europe. Et la comparaison n’est, hélas, pas à l’avantage des Européens. C’est ici, dans ces 34 camps, que les ONG opèrent le plus efficacement. Ici que l’on trouve, en bonne quantité, du savon, des serviettes, des verres à dents, des points d’eau. Ici qu’après les premières semaines de chaos, où les rescapés des massacres déboisaient les collines pour se chauffer, ont été construits de grands escaliers de bambou reliant les quartiers de ce qui est presque devenu une ville. Et ici qu’une vie s’est instaurée avec ruelles pavées, cahutes plutôt saines et, parfois, de minuscules potagers. Il y a bien, comme à Lesbos, des frictions avec les villages voisins qui se plaignent d’être moins bien lotis que les nouveaux arrivés. Mais les autorités n’ont pas cédé. Et le projet de déplacer une partie de ces exilés vers une île en pleine mer a suscité, dans la société, une telle levée de boucliers que l’on y a renoncé. Leçon de courage de ces Rohingyas qui ont tout perdu, fors leur dignité. Mais leçon d’humanité des Bengalais qui n’ont rien mais trouvent la force de le partager, ce rien, avec les 900 000 hôtes de ce purgatoire de vivants.

S’il y a bien un endroit au monde où menace la catastrophe climatique, c’est ici

Car j’avais oublié la misère du Bangladesh. J’avais oublié les ateliers de la sueur où l’Occident sous-traite à des petits-enfants de Mukti Bahini, âgés d’à peine 12 ans, les travaux dont il ne veut plus. J’avais oublié les hordes de sans-travail qui disputent aux chiens errants, dans les décharges de Bashantek, en plein Dacca, des reliefs de nourriture. Et j’avais oublié qu’une scène comme celle-ci fût possible : en plein Dacca toujours, les décombres du bidonville de Rupnagar, monté sur pilotis, qui a entièrement brûlé hier ; le cloaque d’eau noire, pestilentielle, sur lequel cette favela lacustre était bâtie et qui apparaît, maintenant, à ciel ouvert ; et là, dans une brume de fin de jour alors qu’il est à peine midi, au milieu des déchets, des égouts crevés, des cadavres de rats et des tisons de bambou en train de pourrir, un homme aux yeux d’ascète, vêtu d’un simple pagne et coiffé d’une charlotte, qui semble faire ses ablutions – mais non, il plonge dans l’eau lourde et la vase pour récupérer des bouts de tôle qu’il ira vendre, quelques takas, au marché aux puces de Kawran Bazar… D’ailleurs, ce n’est pas exact. Je n’ai rien oublié du tout. Car cela, à l’époque, n’existait pas. La Buriganga qui est devenue, par endroits, un monstrueux fleuve Alphée dont le cours serait interrompu par des monceaux de plastique était une vraie rivière. Le quartier de Hazaribagh où 200 000 personnes boivent, pêchent et pataugent sur les berges d’un marécage de détritus et de produits toxiques était un faubourg semi-rural où une corporation de tanneurs perpétuait un métier millénaire. Et les ancêtres de mon conducteur de cyclopousse étaient des Mukti Bahini et n’avaient pas honte de leur métier.

Ce dont on ne parlait pas non plus jadis mais qui, aujourd’hui, saute aux yeux, c’est que, s’il y a bien un endroit au monde où menace la catastrophe climatique, c’est ici. Le Bangladesh est un pays delta. C’est une terre aux sept cents rivières dont certaines sont nées, comme le Gange et le Brahmapoutre, dans tout le sous-continent et se sont donné rendez-vous ici, comme pour mieux se jeter dans le golfe du Bengale. Et c’est le point de chute des trombes d’eau issues de la fonte des glaces de l’Himalaya et qui, par temps de cyclone et de mousson devenue folle, font monter le niveau des fleuves et provoquent des glissements de terrain colossaux. Cet archipel dont je me souviens, en face de Cox’s Bazar : il a disparu… Ces îles carrées, plus au nord, à la végétation chétive, dont je n’ai, en revanche, pas d’image : c’est la rizière qui a été inondée et les monticules de terre chauve sont tout ce qui en reste… Ce pêcheur qui n’a que 30 ans mais qui en paraît le double : il a dû déplacer trois fois sa maison car la mer avait, chaque fois, mangé sa terre… Ce cultivateur qui n’a jamais entendu parler de changement climatique : mais il sait qu’une nouvelle loi, au Bangladesh, fait des rivières des êtres vivants qu’il convient de respecter mais aussi d’apprivoiser et de punir… Et puis ces bateaux lune, sur la route de Chittagong, dont on va décharger les filets, fûts de saumure et mats de rechange : pourquoi cette forme étrange, incurvée vers l’intérieur, aux deux extrémités, comme un panier ? pour ramasser l’étrave et l’aider à passer les bancs de sable qui sont le reste des anciennes terres ? pour braver la montée des eaux ? ou pour amadouer le monstre dans ce pays où, contrairement au dire du poète, ce n’est pas le désert qui croît, mais la mer ? Je ne sais pas.

Cette petite nation de 160 millions d’habitants qui ne compte encore, à l’heure où j’écris, qu’un nombre infime de décès dus au nouveau virus, reprend la rhétorique de l’Occident et fait de la mobilisation contre « l’ennemi » une priorité absolue.

Et puis ce valeureux Bangladesh, qui est en première ligne de la bataille planétaire contre l’islamisme, la pauvreté, le chaos migratoire et les cataclysmes écologiques, a, comme si cela ne suffisait pas, une dernière guerre à livrer – sanitaire. Il est, depuis toujours, une terre de fièvres, diarrhées, maladies respiratoires et cutanées, causées par la destruction de l’air et des sols. Y sévissent, de manière endémique, la filariose lymphatique, la leishmaniose viscérale, la rage, la douve, la dengue, l’encéphalite japonaise, ainsi que Nipah et Hendra, ces virus dont les excréments de chauve-souris sont la souche et qui, transmis à l’homme, sont mortels dans trois cas sur quatre. Et j’y appris naguère, à mes dépens, que son eau non bouillie y est source d’une variété de paludisme qui me laissa, des semaines durant, sur le flanc. Mais voilà que se déclare, en Chine, puis en Europe, le coronavirus. Et cette petite nation de 160 millions d’habitants qui ne compte encore, à l’heure où j’écris, qu’un nombre infime de décès dus au nouveau virus, reprend la rhétorique de l’Occident et fait de la mobilisation contre « l’ennemi » une priorité absolue.

Annulation des festivités du centenaire. Apparition de masques de fortune, de toutes couleurs et toutes formes, certains comme des becs d’oiseau ou des mufles d’animaux. Et mise en quarantaine du pays qui ferme ses frontières terrestres et aériennes, se coupe du monde et prend ainsi le risque de plonger, de plus belle, dans la nuit. Alors, juste principe de précaution face à un mal qui, s’il déferlait ici, dans ces villes surpeuplées, ferait un carnage ? Ou fierté d’un peuple se protégeant d’une peste pour une fois venue d’ailleurs et ayant l’illusion, ce faisant, d’entrer dans le cercle de l’Etat sanitaire mondial en construction ? Les deux, sans doute. Mais le paradoxe est trop triste. Et je ne suis sûr, à cette minute, que de ceci. Je fus parmi les premiers à prendre le chemin, jadis, de ce pays magnifique et maudit. Je prends le dernier vol, cinquante ans plus tard, pour une Europe prête à se barricader et à dire adieu au monde. Ne reste, pour les amis du Bengale, qu’à prier et espérer.


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