Pendant la guerre du Golfe, on a très peu entendu les intellectuels. Du moins aucune voix n’est parvenue à déclencher un véritable débat d’idées. Serait-ce la preuve depuis la mort de Sartre nous n’avons plus d’écrivain philosophe capable de toucher un vaste public ?

On a, au contraire, beaucoup entendu les intellectuels, et on les a surtout entendus débattre, ce qui est fort bon signe. En tout cas, c’est la preuve que nous ne sommes pas dans le temps crépusculaire que dénoncent certains. Personnellement j’ai, dès le premier jour, publié dans Libération un article intitulé « Désarmer Saddam Hussein » et j’ai participé à un débat télévisé. Je crois d’ailleurs que les intellectuels n’ont pas été étrangers au fait que le courant pacifiste soit resté finalement minoritaire en France. Actuellement, les intellectuels sont en train de changer de rôle et de définition. Ils ne font plus le même métier. Que faisait Sartre ? Des livres, d’accord. Mais il se voyait par ailleurs comme une sorte de vivant porte-voix. Et la voix qu’il relayait c’était la voix du peuple ou du prolétariat, ou de l’Histoire avec un grand H. Il y avait une voix muette et il y avait l’écho que lui donnait Sartre. C’était ça, un intellectuel. C’était quelqu’un qui se faisait l’écho d’une voix muette mais essentielle. Eh bien, c’en est fini de ce modèle. Plus personne ne croit à la réalité, et encore moins à la sainteté de cette voix muette. Et il faut donc, aujourd’hui, que les intellectuels agissent autrement. Comment ? En revenant à leur vérité fondamentale, c’est-à-dire en réfléchissant. Voilà, oui. Réfléchir. Ne plus des faire l’écho de personne. Ne plus se voir comme les oracles de la parole primordiale. Et essayer de faire de l’Histoire concrète un objet de pensée. C’est moins spectaculaire, mais c’est plus indispensable.

Après la guerre du Golfe, comment imaginez-vous la place d’Israël ?

C’était une erreur, pour Israël, de ne pas entrer dans la guerre. Ce qu’on a appelé la « politique de retenue » était une politique erronée. En plus, c’était un mensonge. Oui, c’était un mensonge que de maintenir cette fiction d’une guerre qui n’était pas celle d’Israël. J’ai d’ailleurs rencontré, à l’époque, un certain nombre de responsables – dont le Premier ministre Itzhak Shamir, qui m’a clairement laissé entendre que cette décision de ne pas intervenir lui a été imposée. Tous sont aujourd’hui d’accord avec cette idée que la « retenue » fut peut-être une duperie. Ce que je suis allé faire à Tel-Aviv ? Étant donné ce que je pensais de cette guerre, il m’a semblé plus cohérent d’aller le dire sur place. Ce n’était pas grand-chose, mais j’ai trouvé convenable de le faire. En tout cas, je redoute ceci : qu’Israël ne soit pas, comme on l’a dit partout, « récompensée » de sa non-intervention, mais qu’on lui demande, au contraire, de « payer ».

Le leader palestinien Yasser Arafat reste-t-il un interlocuteur valable ?

Si j’étais Palestinien, je trouverais surtout qu’Arafat n’est pas un représentant valable. S’il y a un homme qui a fait du tort à la cause palestinienne, c’est bien lui.

François Mitterrand est au pouvoir depuis dix ans. Comment le jugez-vous ?

Difficile de vous répondre en deux mots. Disons que je suis de ceux qui auraient plutôt tendance à en redemander. La France, chacun le sait, n’est plus tout à fait une grande puissance. Or Mitterrand fait comme si. En sorte qu’il joue, de ce point de vue, le même type de rôle que de Gaulle autrefois, qu’il entretenait l’illusion de la France grande puissance. La politique, ça consiste aussi à donner à un peuple une certaine image de soi. C’est un jeu terriblement subtil entre la vérité et l’illusion. Ce jeu, de Gaulle le jouait bien. Mitterrand le joue bien.

Le communisme est-il vraiment mort ?

Il est à l’agonie. Mais comme tous les agonisants, il a des convulsions. C’est ce qu’on voit en Albanie et en Yougoslavie. Qu’on sorte du communisme, j’en suis persuadé. Mais quelle porte de sortie ? Une sortie vers la démocratie ou vers la dictature ? Pendant des décennies, la bataille se déroulait entre démocratie et totalitarisme. On entre dans une époque où la bataille sera entre démocratie et populismes, intégrismes, fanatismes divers et variés.

Doit-on organiser le procès de René Bousquet, l’ancien chef de la police de Vichy ?

Oui. Un pays adulte est un pays capable de regarder sa mémoire en face.

Si vous aviez un dernier livre à écrire, ce serait un roman ou un essai ?

Un roman.


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