Sous le titre Éloge des intellectuels, Bernard-Henri Lévy se livre dans le mensuel Globe à une longue et opportune réflexion sur le discrédit dont souffrent les intellectuels dans la société contemporaine. On est spontanément tenté de proposer à Lévy de commencer par s’interroger sur la responsabilité que portent les intellectuels dans leur propre disgrâce. Mais on a l’heureuse surprise, à mesure qu’on avance dans le texte, de constater qu’il le fait très honnêtement. Encore ne va-t-il pas jusqu’à reconnaître explicitement que le déclin des intellectuels tient pour la plus large part et tout simplement à leur impuissance. La fonction d’un intellectuel était notamment et reste d’apporter des réponses aux questions obscures que pose l’Histoire aux hommes, de telle sorte que ceux-ci puissent donner un sens à leur vie. Or leur incapacité à remplir cette fonction s’est avérée depuis quelques décennies.

On sera à la fois plus et moins sévère que Lévy à l’égard des clercs contemporains. Plus sévère dans la mesure où, Lévy le premier, ils ont trop facilement cédé contre nature à la tentation séculière, tous plus prompts les uns que les autres à vulgariser eux-mêmes leur réflexion, par media interposés, ou à engager à tout propos leur crédit dans des combats anecdotiques pour des causes de pure conjoncture.

Moins sévère parce que le pessimiste constat de Lévy ne s’applique pas qu’aux intellectuels. Il vaut tout aussi bien pour l’art, tout autant pour la politique. Notre époque ne laissera que de médiocres traces de création. Et elle n’a pas encore su imaginer un ordre social adapté aux promesses qu’elle porte. Déclin des intellectuels ? Ne s’agit-il pas plutôt d’un retard général sur de fabuleuses avancées techniques et scientifiques ? On ne demande pas à un intellectuel d’être un visionnaire, mais de donner un sens à un ordre. Nous vivons un âge confus, vers un ordre à venir. Les intellectuels sont sans doute moins en déclin qu’en vacances, par la faute d’une Histoire très rapide.


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