1. Le Front républicain n’est plus un barrage à la montée du Front national. Il n’a certes jamais été la solution miracle que d’aucuns imaginaient. Et nous savions que, s’il pouvait faire momentanément obstacle à la pression frontiste, il ne pouvait avoir, à long terme, que des effets pervers. Mais là c’est à court terme qu’il a échoué. C’est dans le feu même de l’élection que sont apparus les effets pervers redoutés. La situation du candidat de gauche, affaibli par une mise en examen ? L’aveuglement d’une droite qui n’a pas toujours compris qu’elle n’a qu’un ennemi mortel et que cet ennemi, c’est le FN ? Tout cela a joué. Mais moins que cette loi : le Front républicain ne peut pas être une stratégie de résistance à la montée du Front national puisqu’elle offre, au contraire, au Front le visage même de son fantasme – un syndicat de nantis, occupé de ses seuls intérêts, auquel il opposerait, seul contre tous, une rupture de style, de ton, de contenu.

2. La « pédagogie démocratique », à Vitrolles comme ailleurs, a échoué. Chacun sait, aujourd’hui, qui sont messieurs Le Pen et Mégret. Or une majorité d’électeurs n’en ont pas moins voté, dimanche, pour leur liste – 52 % d’électrices et d’électeurs n’en ont pas moins choisi, en connaissance de cause, un programme qui allait aggraver le chômage, dissuader les entrepreneurs de s’installer dans leur ville, accroître la misère, installer peut-être le chaos. Faillite de l’esprit des Lumières. Ruine de ce platonisme du pauvre qui fait trop souvent office de vision du monde : « nul n’est méchant volontairement ; le fascisme est un préjugé ; éclairons les âmes égarées – elles rentreront dans le chemin de la droite et de la juste raison ». Le vote Le Pen n’est pas un malentendu. Il procède de motifs plus irrationnels, plus mystérieux : jusqu’à quand les analystes feront-ils l’impasse sur cette part noire, souvent trouble, qui constitue la vraie trame de l’inconscient politique ?

3. La stratégie de l’anathème, voire de l’excommunication, a fait également faillite. On a diabolisé le Front. On a fait honte à ses électeurs de ce qu’on leur présentait, non comme un vote, mais comme un délit. On leur a dit – moi le premier : « le vote FN est un vote immoral ; vous avez tort de voter FN ; car vous vous mettez, ce faisant, au ban du jeu politique ». Eh bien, force est de constater que les électeurs s’en sont moqués et que ce type de discours – dont je continue de penser, par parenthèse, qu’il demeure juste en son principe – leur a peut-être même fourni des raisons de persévérer. Et si tout le désir de l’électeur FN était là ? Et s’il s’agissait, en effet, de se mettre, sinon au ban, du moins en marge d’un jeu politique jugé, à tort ou à raison, frappé de discrédit ? Et si tout l’inconscient de ce vote consistait à dire : « le jeu est bloqué ; figé dans ses tabous ; nous avons une “classe” politique qui ne nous propose qu’une pensée unique et, donc, désespérante ; le FN fait exception ; c’est pourquoi nous le rejoignons ». Le vote FN n’est pas un vote de protestation comme pouvait l’être le vote communiste des années 60. C’est un vote de transgression – et c’est le fait nouveau.

4. Il n’y a qu’une bonne réponse à la montée du FN – c’est la réinvention de la politique. Plus facile à dire qu’à faire ? Certes. Mais encore faut-il le dire. Car si ce qui précède est exact, si la source de ce vote FN est dans le désespoir des électeurs confrontés à des partis qui se ressemblent, s’il s’agit de transgresser la loi d’une corporation dont l’esprit de consensus bloquerait l’horizon collectif, bref, si leur message est, en substance : « je ne peux me résigner à ce que demain soit identique à aujourd’hui et c’est pourquoi je vote pour celui qui, fût-ce dans l’infamie, nous berce de l’illusion d’un avenir alternatif », alors la leçon est claire : il faut réinventer l’alternative ; retrouver le sens du différend ; il faut que la gauche ressuscite la gauche, que la droite ressuscite la droite et qu’elles réapprennent à s’affronter, sans merci ni compromis. On dit souvent : « la politique, ce n’est pas les belles paroles ; c’est le terrain, la présence dans les quartiers, les cages d’escaliers, etc. » C’est faux. La politique, c’est d’abord la parole. C’est le choc des discours. C’est le libre débat entre ces discours adverses.

5. On savait que le FN traitait les étrangers comme des chiens – on sait désormais qu’il traite les femmes comme des poules. Que la femme en question – Catherine Mégret – se soit accommodée de son rôle de potiche ne change rien à l’affaire. Tous ceux qui l’ont entendue ânonner ses discours, tous ceux qui l’ont écoutée, au soir du scrutin, annoncer que sa victoire n’était pas la sienne mais celle de son mari, tous ceux enfin qui ont vu, le lendemain, le maire par procuration, Bruno Mégret, aller prendre ses fonctions tandis que le maire élu restait, elle, à la maison pour vaquer aux tâches domestiques, savent quelle idée l’on se fait, chez ces gens, du rôle des femmes en politique. J’ajoute que, d’un strict point de vue juridique, cette stratégie du prête-nom ne me semble pas moins répréhensible que dans le monde de l’industrie. A-t-on le droit de faire campagne en lieu et place d’un autre ? la notion d’homme, ou de femme, de paille a-t-elle cours en démocratie ? et que pense le Conseil d’État d’un candidat invalidé qui se moque éhontément de la loi et persiste à se présenter – mais derrière le « faux nez » d’une « fausse candidate » qui aura eu l’étrange imprudence de s’afficher officiellement comme telle ? On a annulé des élections pour moins que cela. Je suggère l’invalidation de madame Bruno Mégret.


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